Monday, July 04, 2011

Constantine 1970 – 2011 Splendeurs et délabrement

Constantine 1970 – 2011

Splendeurs et délabrement

Cirta, cité millénaire… Nid d’aigle perché au sommet d’une impressionnante masse rocheuse. Forteresse naturellement protégée par un large et long abîme en forme de croissant de 176 mètres de profondeur au pied duquel serpente Oued R’mel.
Quatre ponts principaux relient les deux rives de la ville dont le centre est la réplique d’un quartier d’une agglomération moyenne du sud de la France. Constructions coloniales conçues au dessus des ruines de plusieurs civilisations qui racontent cinq mille ans de l’histoire de l’humanité. Cirta était assurément l’une des plus belles villes du monde grâce à son incomparable socle rocheux d’une hauteur vertigineuse qui vous donne la sensation que les oiseaux voltigent sous vos pieds. Du pont sidi Rached votre regard embrasse l’enchevêtrement en forme de pyramide du vieux quartier qui conserve de beaux restes des vestiges romains, puniques, arabes et ottomans. Souika en ruine… Quartier aux cent palais dont peu de gens soupçonnent l’existence à cause de l’aspect extérieur très quelconque et parfois lugubre des bâtisses. Souika victime de la cupidité des «élus» et de l’inculture de ses habitants implantés suite à l’exode rural provoqué par la création en 1958 des zones interdites qui devaient permettre à l’armée française d’isoler la résistance algérienne… Souika livrée au massacre et à la prédation, c’est un tableau de désolation. Nous marquons un arrêt sur les autres sites de la ville qui ne sont pas de moindre importance au plan de l’histoire: Rahbet essouf, sidi Djliss, la Casbah. Ils n’ont pas échappé à la rage des démolisseurs. On serait tenté de penser que les aviateurs barbares américains ont transité par là avant de raser l’Irak, le Liban et l’Afghanistan. De l’avenue de Roumanie au pont sidi M’cid la promenade était plus qu’un ravissement. Des chemins et des escaliers descendent tout le long de la falaise jusqu’au bord de l’oued, à quelques pas de fascinantes chutes d’eau pendant les fortes crues de l’hiver. L’abondance du gibier attirait les chasseurs et les braconniers, mais les touristes préféraient le safari photos.
Si vous remontez le boulevard de l’abîme (1) en direction de l’hôpital vous avez un magnifique panorama qui englobe les monts de Chettaba, la vallée de B’kira, les plaines du Hamma Bouziane. Avant les années 1970 ces vastes vallées contenaient les vergers et les potagers qui nourrissaient Constantine. Aujourd’hui, c’est du béton, du béton et du béton. Des bidonvilles en béton conçus dans un désordre inouï. Sans le moindre souci pour l’environnement et de l’esthétique
C’est le chaos urbanistique.
Constantine fut assurément très belle. D’une fascinante beauté. Les poètes des cinq continents qui l’ont visitée ont chanté ses charmes quasi uniques.
Hélas ! Elle a perdu son âme et son charme depuis des lustres.
Malek Haddad affirmait que nulle part ailleurs le ciel n’est plus bleu qu’à Constantine.
C’est toujours vrai.
Sans doute parce que la bêtise, l’incompétence, la médiocrité et la mafiocratie des administrateurs et des «élus» ne sont en mesure d’influer en aucune façon sur la couleur du ciel.
Quant à la ville? La pauvre!
Il lui est arrivé ce qui arrive fatalement à une très belle fille mariée de force successivement à des hommes frustres, négligents, égoïstes, bêtes, méchants, insensibles à la beauté, ne sachant pas apprécier les besoins d’une plante fragile qui exige des soins constants pour conserver son potentiel de séduction.
Constantine, rien ne m’est plus pénible que d’en parler. Je suis incapable de prendre le recul de la neutralité.
Car j’ai du mal à comprendre et à admettre le niveau de délabrement qu’elle a atteint trente cinq ans après l’indépendance.
Ceux qui l’ont bien connue dans les années soixante-dix et la revoient maintenant, en 2010, sauront certainement mesurer l’ampleur des dégradations qui l’ont défigurée.
Ils en seront révoltés.
D’autant plus que presque tous les «élus» qui se sont succédés à l’APC (2) et à l’APW (3) appartiennent au corps de l’enseignement (comme à l’UGTA) () ou bien sont des universitaires (médecins, architectes, ingénieurs, urbanistes, économistes, gestionnaires d’entreprises publiques). Toutes obédiences confondues.
Que dire ? Que penser ?
Aujourd’hui Constantine est un gros bourg où s’épanouissent tous les fléaux. Ses beaux quartiers se lézardent de partout, ses nouvelles constructions l’enlaidissent, ses sites historiques sont à l’abandon. Elle a été réduite à la sinistre image des hommes qui ont pris la responsabilité de la gérer sans avoir les qualités morales, les compétences, l'esprit d'initiative le sens du devoir et du sacrifice qui animent les bâtisseurs.
Des hommes qui n’ont jamais quitté la mentalité du douar. Malgré des études supérieures et de longs séjours en milieu urbain et à l’étranger ils ont été incapables de moderniser une cité au passé prestigieux dont il fallait absolument préserver les vestiges et reconstituer pierre par pierre ce que le colonialisme avait rasé dans une vaine tentative d’effacer notre mémoire.
Tout ce qui était précieux sur le plan culturel et historique a été négligé, livré à la prédation, bradé, pillé. La vieille ville fut partiellement saccagée avec l’arrière-pensée de rétrocéder les terrains constructibles récupérés aux requins de la finance mafieuse. Ses fines faïences, ses lourdes portes datant de six siècles et plus, ses boiseries artistiquement sculptés furent volés et chargés après minuit sur des camions dont personne ne connait ni la provenance ni la destination. Un travail d’une vraie mafia rompue à toutes les formes du pillage du patrimoine culturel de grande valeur. Pourtant elle était classée patrimoine national et attendait des expertises de l’Unesco pour une inscription sur le registre du patrimoine universel.
Raser Souika la millénaire et construire à la place des ensembles de haut standing. Ce plan fut cautionné par des «élus» télécommandés dont l’un d’entre eux siège au Sénat.
La Syrie, l’Italie, le Maroc, la Grèce, la Tunisie, l’Espagne, l’Egypte ont intelligemment intégré leurs quartiers historiques à l’extension moderne des villes et ont en fait des sources de revenus aussi sûres que l’agriculture et plus pérennes que le pétrole. La France a fait mieux et plus: elle s'est donnée un mal fou pour que tous ses sites soient classés par l’UNESCO tout en rasant notre patrimoine et en pillant les pièces les plus précieuses de celui de tous les pays qu'elle a colonisés pour remplir ses musées et stocker le reste dans des lieux plus sécurisés que sa banque centrale. Quant à L’Allemagne elle a reconstitué à l’identique ses quartiers historiques qui ont été complètement rasés en I939/1945 par l’hystérie destructrice des Américains et des Anglais qui avaient la possibilité d’épargner les centres urbains et les sites touristiques sans perdre la guerre. Nous les avons vus à l’œuvre à Bagdad et au Liban : détruire tout sans justification d’ordre stratégique sinon de s’adonner aux perversions du pyromane et du cleptomane (pillage des musées et du patrimoine archéologique).
Chez nous on rase aveuglement.
Chez nous on déchire sans état d’âme des pages entières de notre riche histoire dont l’écriture reste encore tabou car des hommes aux idées rétrogrades mais très influents au niveau des pouvoirs de décision ont décidé que l’Algérie n’a jamais existé avant la venue « pacifique » des Arabes. Ils ont essayé par tous les moyens d’effacer de notre mémoire les siècles antéislamiques comme s’ils ont honte que l’Algérie ne fût pas musulmane avant la naissance du Prophète Mohammed (QSSSL) et l’avènement de l’Islam.
Haddad Malek affirmait que nulle part ailleurs qu’à Constantine le ciel n’est aussi bleu.
Qu’il me permette d’ajouter une phrase à son judicieux constat :
Nulle part ailleurs qu’à Constantine la bêtise humaine et la cupidité des « élus » et des administrateurs n’ont commis autant de ravages.
Impunément.

MAHDI HOCINE




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1) Boulevard Zighoud Youcef
2) Assemblée municipale « élue » au suffrage universel selon la Constitution, en réalité cooptée.
3) Conseil préfectoral du département « élu » au suffrage universel selon la Constitution, en réalité coopté.
4) Union générale des travailleur algérien, syndicat sous tutelle du pouvoir par le biais du parti FLN.

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