Monday, September 19, 2016

Les hôpitaux malades de leurs médecins

Pleure ô pays bien aimé...
J'ai volé cette phrase à un écrivain passionné et passionnant.
Qu'il me pardonne, il a l'âge de mon arrière grand père et il est naturel que j'apprenne de lui. En vérité je n'ai pas su en inventer une qui soit plus en adéquation que celle-là avec le récit du parcours du combattant d'un citoyen malade qui n'a pas voulu déranger ses solides "relations" pour se faire soigner. 
Attention, je ne généralise pas. Il y a des exceptions.

Pleure ô pays bien aimé.
En 2011 tes hôpitaux demeurent toujours le lieu incontournable où beaucoup de malades sans piston y entre en marchant et en ressortent dans un cercueil.
Des médecins sans conscience, sans coeur, abandonnent pendant des heures des malades torturés par la souffrance dans des salles de consultation des services des urgences. Bien entendu, quand les malades en question ne sont pas accompagnés, mieux vaut dire munis, d'une "chakhsia*" ou d'une recommandation en bonne et due forme.

Pleure ô pays bien aimé.
Des médecins sans conscience, sans coeur, prescrivent des actes médicaux onéreux et des médicaments au pif. Ils se trompent souvent sur le diagnostic parce qu'ils ne procèdent pas à l'examen clinique (palpation du corps et questionnaire sérieux) qui peut les mettre sur la piste de la maladie.

Pleure ô pays bien aimé.
Des médecins sans conscience, sans coeur, assurant la permanence, renvoient chez eux des malades gravement atteints pour ne pas prendre la responsabilité de signer un ordre d'admission... 
Pourquoi ? 
De peur d'être engueulés par leur chef de service qui est en abandon de poste.

Pleure ô pays bien aimé.
De ce fait nos hôpitaux grouillent de médecins assassins qui ne prennent sérieusement en charge que les malades recommandés ou accompagnés de "si flen ou si felten".

Pleure ô pays bien aimé.
Tes enfants craignent tes médecins plus que les guérisseurs charlatans qui exercent dans tes souks.

Voici l'infernale journée d'un malade qui n'a pas fait usage de ses "pistons" agréés, devrions nous dire "labélisé".
3 heures du matin: Dziri se tortille de douleurs dans son lit. Sa famille lui donne des cachets, lui prépare des tisanes en attendant que le jour se lève. Rien à faire. Les douleurs deviennent plus violentes. 
La famille appelle le taxi clandestin du quartier. Direction: les urgences de l'hôpital el Hattabia qui est le plus près (une dizaine de kilomètres). Là on lui injecte une dose de calmant. Les douleurs redoublent de férocité. On l'oriente vers les urgences du CHU Ben Badis, qui eux l'orientent sur le pavillon chirurgicale Ibn Sina. Entre les attentes et les trajets cinq heures se sont écoulées. 
La famille décide alors de s'adresser à la clinique privée Naoufel, puis à une autre. Peine perdu. On leur conseille le CHU Ben Badis.
Retour à la case départ.
La distance entre les pavillons est longue. Pas de chaise roulante disponible. Dziri s'appuie sur les frêles épaules de son épouses et celles de son frère pour se déplacer. Il tombe en syncope. Grâce à une "maârifa**" rencontrée au hasard il est pris en charge par le service des maladies infectueuses où on lui branche un sachet de sérum. Il est 14 heures 30, le médecin de la "maârifa" recommande à la famille d'aller en urgence à l'hôpital de Daksi qui est situé à l'autre bout de la ville. Il a la gentillesse de réquisitionner une ambulance. La densité de la circulation est un enfer  pour la famille qui mène une course contre la montre.
A la salle de consultation des urgences de Daksi, l'attente est interminable. Il y avait bien un médecin mais il ne pouvait rien décider sans l'avis de son collègue de permanence qu'il avait appelé au téléphone mais qui tardait à venir. Près d'une heure après voici le collègue qui arrive en trainant les pieds. Lecture de la lettre d'orientation, des bilans, des radios et des échographies. Il s'enferme quelques minutes dans son cabinet avec ses collaborateurs puis appelle la famille.
- Ramenez le malade au pavillon de chirurgie Ibn Sina il doit être opéré de toute urgence.
Un parent du malade l'informe :
- Nous sommes venus d'Ibn Sina où les médecins l'ont vu et nous ont orientés vers votre service. Si nous nous le leur ramèneront ils vont nous renvoyer ici.
Le médecin :
- Je ne peux rien faire. Le bloc est fermé jusqu'à 8 heures du matin.
Un autre parent plus rugueux :
- Docteur, s'il vous plait, laissez-nous vous respecter. Vous êtes en permanence assumez vos responsabilités. Vous êtes le capitaine à bord pendant la permanence.
Le médecin :
- Non. Je ne suis que l'adjoint du Maitre Assistant.
Le parent :
- Conduisez-nous à son cabinet nous allons lui parler.
Le médecin :
- Il est chez lui. Je dois lui téléphoner pour savoir ce qu'il décidera.
Le parent en colère :
- Le Maitre assistant décide de chez lui sans voir le malade ?
Le médecin :
- Nous travaillons comme ça. Le cas de votre malade est un peu particulier. La semaine passée un médecin en permanence avait hospitalisé un cas pareil il s'est fait savonner par le Maitre Assistant.
Le parent se calme par stratégie :
- L'état de notre malade nécessite t-il une intervention immédiate ?
Le médecin :
- Oui.
Le parent :
- Nous allons le ramener à la maison. Si par malheur il lui arrivera quelque chose nous vous tiendrons pour responsable devant la justice.
Le médecin :
- Pourquoi moi. Allez à Ibn Sina ils le soigneront.
Vous avez bien lu. Un médecin assure la permanence dans les urgences d'un hôpital pour le compte d'un autre médecin qui se prélasse chez lui mais quand il a un patient à hospitaliser de toute urgence il a peur d'être engueulé par l'absentéiste.
Le parent s'éloigne du médecin et décide de déclencher l'opération "piston" en téléphonant à une "Chakhsia" de petite envergure.
Moins d'une demi heure après la directrice de l'hôpital Daksi déboule au service des Urgences. Elles est sur les nerfs, son f'tour était sur le canoun. Elle s'enferme dans le cabinet avec le médecin qui deviendra comme une serpillière et se montrera prêt à lécher les bottes des parents du malade. Comme un minable larbin il signera l'ordre d'admission de Dziri et le programmera pour une préparation immédiate à l'intervention chirurgicale.
Nous le soupçonnons d'avoir, par la suite, commis une mauvaise action.
Le malade devait être opéré en urgence. Mais au moment de l'embarquer au bloc un chirurgien s'aperçoit de la disparition des résultats d'analyses de son dossier. Il y aura une altercation entre les infirmiers et les chirurgiens. Ce n'est que vers midi que les documents seront retrouvés classés par inadvertance (?) dans le dossier d'un  autre malade.
C'est mesquin. Mais que voulez-vous ? C'est le niveau culturel de certains de nos médecins qui n'ont jamais lu le Serment D'Hippocrate.
Allah yeramek y a si Benkadri Hocine. Quand tu étais directeur général les hôpitaux fonctionnaient comme l'horloge de Londres. Dès ton enterrement ils sont redevenus comme des souks, comme ils l'ont été pendant les quarante dernières années. Il ne t'a fallu que six mois pour les rendre fréquentables. Mais ton coeur avait lâché parce que tu étais au four et au moulin H.24.

Pleure ô pays bien aimé.
Pendant que des centaines de médecins sont au chômage et rêvent de "Harga" d'autres, dans nos hôpitaux, laissent mourir leurs malades.

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Le 16 Août 2011
Mahdi Hocine