Si le monde arabe demeure encore la vingtcinquième roue inutilisable de la charrette dans un univers où les sociétés combatives sont sorties complètement des ténèbres depuis au moins deux siècles c'est parce que l'expression est muselée, le débat est orienté et la souveraineté citoyenne confisquée.
Là où les dictatures les plus sanguinaires se parent du qualifiant "démocrate" c'est toujours le parti inique-unique qui écrase la majorité du peuple avec la complicité flagrante de partis croupion mafieux, d'intellectuels sans honneur, d'une presse en constante perfusion grâce à la publicité de l'Etat et qui pompe le plus grand nombre de ses articles d'Internet sans avoir le minimum de respect à l'égard de son lectorat en citant les sources. En plus, elle profite du désordre ambiant et du chômage en recrutant des journalistes (jeunes et vieux), sans contrat, à qui elle verse charitablement moins de cinq mille dinars par mois et qu'elle remplace tous les trois ou six mois (particulièrement les jeunes filles qui défendent leur dignité). Pourtant cette presse est la première à dénoncer les entreprises des autres secteurs qui amassent très rapidement des fortunes en exploitant leurs ouvriers contre des salaires de misère.
En Algérie des dizaines de publications vivent par et pour l'agence de publicité de l'Etat, paient les journalistes au rabais, ont un tirage ridiculement bas et 95 % de bouillon, ne paient pas l'imprimerie de l'Etat. Par contre leurs patrons et les directeurs de rédactions sont devenus millionnaires, roulent en 4/4 dernier cri (comme les enfants d'Abou Djerra) et mangent à la table des décideurs, des hauts gradés et des gouverneurs locaux. Ce n'est pas normal mais c'est cela l'Algérie. Nos dirigeants ont cru pouvoir se fabriquer une belle image de démocrates en noyant le marché de la presse par des titres stériles et budgétivores. C'était pour la même raison qu'ils avaient fabriqué le groupe El Khalifa et offert notre Sahara aux américains par l'intermédiaire de Chakib Khalil. Ils étaient sous embargo diplomatique, l'Amérique et l'Europe les tenaient par la main qui leur faisait très mal, les faisaient danser et chanter à leur guise au sujet des droits de l'homme, de la mauvaise gouvernance, des fraudes électorales, de la dilapidation des richesses nationales. Ce n'était pas pour les beaux yeux du peuple algérien, bien sûr. Quand Washington, Paris et Londres harcèlent des dictateurs sur ces questions c'est pour partager le gâteaux en soumettant les dictateurs avec la menace du tribunal pénal international.
Ce crochet était indispensable pour expliquer la fulgurante réussite de l'opportunisme et du trabendisme intellectuel en Algérie.
Concernant la presse : l'autre revers de la médaille n'est pas beau. Quelques journaux sont harcelés par une justice à plusieurs vitesses, dès qu'ils ont un retard de paiement l'imprimeur bloque le tirage, l'agence de publicité de l'Etat est instruite par les décideurs de les écarter du partage de la manne publicitaire qui est un outil avéré de corruption. Alors qu'ils ont moins de 10 % de bouillon malgré un fort tirage; jusqu'à cent fois plus que les torchons qui sont indirectement financés par la publicité de l'Etat.
L'argent du pétrole n'enrichit que les parasites en Algérie.
Qu'on se le dise: le combat pour la liberté d'expression avait commencé sous la dictature de Ben Bella, quand un certain Mohamed Harbi était directeur de son cabinet et présidait la rédaction de Révolution Africaine. Entre 1963 et 1990 des milliers d'articles haut de gamme ont étaient charcutés ou jetés à la poubelle, de nombreux journalistes ont été persécutés, emprisonnés, interdits d'écriture, placés en résidence surveillée. D'autres se sont suicidés, ont perdu la raison, ont été dévorés par un diabète violent, par l'hypertension. D'autres encore n'ont échappé à une mort subite et à des maladies du système nerveux qu'en fuyant le pays. A titre d'exemple je cite deux cas.
Mohamed Belcacem de Batna, universitaire. Pour un article, vingt ans de souffrances, de misère, la folie après la prison, une prometteuse carrière de professeur gâchée, une famille éclatée.
Mouloud Larakeb, un vieux compagnon de Kateb Yacine et de Malek Haddad. Pour un reportage plein de ces vérités que n'aiment pas entendre nos décideurs Boumédiène le placera en résidence surveillée, une belle carrière brisée pour avoir dénoncé la mauvaise gestion et les magouilles des pistonnés de l'époque.
Tous les deux travaillaient à El Moudjahed. Mais les cas sont nombreux à Alger Républicain, à Algérie Actualité, à la chaîne TV, à la radio et dans les quelques journaux qui existaient sous le parti unique-unique. Ces femmes et ces hommes étaient entrés au journalisme comme en religion.
Aujoud'hui, en plus de la censure déguisée, du chantage à l'imprimerie, à la publicité et aux impôts, du harcèlement judiciaire, de l'inaccessibilité aux sources de l'information, nous devons regarder en nous-mêmes et d'abord balayer devant nos portes.
Des éditeurs et des journalistes salissent la profession par des comportements indignes.
L'éditeur qui ne paie pas ses journalistes et s'offre le luxe de critiquer les patrons des autres secteurs économiques qui versent des salaires de misère à leurs ouvriers n'a pas de place dans la famille de la presse.
Les journalistes qui ne couvrent pas les évènements, en parlent comme s'ils y étaient et livrent au lectorat des informations déformées, mensongères, parfois diffamatoires, n'ont pas de place dans la famille de la presse. J'ai vu comment travaille cette faune de plumitifs. Ils ne contrôlent pas l'information, n'écoutent qu'un seul son de cloche. Vous parlez dans un café d'un fait au conditionnel, le matin suivant vous lirez sur le journal "l'information" sur le mode affirmatif. J'en ai piégé quelques uns en inventant des évènements plausibles. Sous leurs plumes ils ont en fait une réalité.
Les chefs de bureau locaux des gros journaux comme El Watan qui reçoivent des articles de lecteurs et les publient sous leurs signatures de chefs sans honte, que font-ils dans la famille de la presse ? L'un d'eux est devenu patron d'un journal mais il continue de voler des articles de journaux concurrents en les signant de son nom sans honte.
Que font ces trabendistes dans la famille de la presse ?
Dans la prochaine lettrre je raconterai un problème que j'ai eu avec des journaux respectables qui ont publiés les mensonges de Mohamed Harbi m'accusant d'appartenir à une officine des "services" mais ont refusé de publier mon droit de réponse. A commencer par La Tribune après le suicide de son fondateur Amyar. Car celui-ci, tel que l'ai connu, n'aurait jamais refusé de publier le droit de réponse d'un citoyen tout simplement parce que la déontologie lui commande de livrer à ses lecteurs les deux versions quand un conflit oppose deux écrivains.
La famille de la presse qui a une noble mission et mène un pénible combat pour libérer notre pays du règne de la médiocrité ne peut pas exiger du pouvoir de la respecter si elle se laisse salir par des éditeurs et des journalistes qui déshonorent la corporation.
Oui à la liberté d'expression !
Oui à la diversité des opinions !
Non au mensonge !
Non à la diffamation !
La corporation doit penser à un Conseil de l'ordre des journalistes et des éditeurs qui aura la prérogative de sanctionner des membres qui portent atteinte à l'honneur de la profession.
La liberté de la presse n'autorise pas le journaliste de mentir à ses lecteurs, de salir les citoyens sans leur permettre de se défendre.
Nous avons besoin d'une presse libre mais qui respecte les règles du métier.
Mahdi Hocine
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