Ben Bella était le Bokassa algérien
Quand la parole est d’argent,
le silence est d’or…
J’ai eu cette intime conviction quand, très jeune, j’ai eu entre les mains des journaux français relatant le détournement par les services français de l’avion marocain qui transportait vers la Tunisie Boudiaf, Ait Ahmed, Ben Bella, Lacheraf…
Dans la grande campagne de propagande coloniale qui a entouré cet acte de piraterie d’Etat les services de communication de l’Elysée avaient fomenté un véritable putsch contre la révolution algérienne en fabriquant à Ahmed Ben Bella la stature du chef suprême de la rébellion. Tous les gros titres de la presse en France, en Algérie et en Europe étaient conçus de telle sorte que Ben Bella soit perçu par l’opinion comme le symbole, le déclencheur, le meneur de la guerre de libération. Pas un mot ni sur Boudiaf ni sur Ait Ahmed. En première page des journaux et des magazines à fort tirage, les plus influents, les plus vendus de l’époque il n’y avait de place que pour Ben Bella suivi de la mention négationniste tant elle était vague « et ses compagnons ».
On aurait dit que les médias s’étaient tous mobilisés pour faire oublier les vrais meneurs de la révolution en ne citant jamais leurs noms. Pendant la grève de la faim de 8 jours des prisonniers algériens qui revendiquaient le statut de détenus politiques en 1958 nous n’entendions que le nom de Ben Bella qui s’est définitivement incrusté dans la mémoire populaire comme le symbole de la résistance au colonialisme. Les journalistes algériens qui officiaient à la chaîne arabophone de la radiodiffusion coloniale à l’époque avaient le même langage que leurs confrères de l’ORTF (1). Ils étaient soumis à des ordres strictes : ne jamais prononcer les noms des « compagnons » de Ben Bella. Ils demeurent présentement les dignes professeurs des journalistes béni oui oui qui squattent aujourd’hui les médias publics hérités de la puissance coloniale (biens et méthodes de travail) pour se retrouver un jour ministres, députés ou sénateurs. Ils portent une lourde responsabilité dans une considérable campagne visant à grandir Ben Bella pour effacer de l’histoire de la révolution algérienne les noms de ses plus brillants instigateurs.
L’acte d’amputation de la mémoire nationale était prémédité par les maîtres de l’Elysée.
Trente ans plus tard j’ai eu la chance de rencontrer l’un des rares algériens qui aient plaidé pour l’indépendance de l’Algérie en 1947 au palais Bourbon. En effet, monsieur Derdour Djamel (2) était député à l’époque sur la liste de Messali Hadj avec Lamine Débaghine, Mezrena et Boukadoum qui avaient scandalisé la France en revendiquant l’indépendance à l’intérieur des murs de l’Assemblée Nationale française présidée par Edouard Herriot. Plus tard il rejoindra le FLN en Tunisie. C’est l’un des rares militants à avoir rendu visite à nos cinq captifs qui étaient en résidence surveillée en France. Cette visite était motivée par un grave problème qui se posait à l’Etat major. Des décisions étaient envisagées mais il fallait l’aval des responsables prisonniers. Derdour Djamel a été bien reçu par les historiques. Mais il retiendra de ce premier contact une lourde atmosphère de suspicion, d’animosité, de froideur ou de malaise. Après un long entretien avec Boudiaf il avait déduit que Ben Bella pouvait avoir été « retourné » par les services français qui venaient souvent le voir en aparté.
Boudiaf était très inquiet et d’une grande méfiance. Il se tenait à l’écart de Ben Bella.
Ait Ahmed aussi.
Pour me prouver qu’il a bien rendu visite aux nos prisonniers historiques monsieur Derdour m’a montré une feuille sur laquelle était inscrit le menu de la journée (les repas) agrémenté de la signature de Boudiaf. Ce papier est aujourd’hui un précieux document qui aura sa place au musée des vrais moudjahidine lorsque les Algériens auront le droit de connaître toutes les facettes de leur Histoire après la disparition des faussaires, des cachottiers, des menteurs, des manipulateurs et des plagiaires qui profitent du fait que les archives sensibles de notre révolution enterrés en France et en Algérie ne sortiront des coffres-forts que dans un siècle au minimum.
Il est naturel que les fréquents contacts des services français avec Ben Bella soient très mal perçus par Boudiaf et Ait Ahmed. Des cinq captifs Ben Bella était le moins cultivé, le moins politisé, donc le plus facile à manier psychologiquement. En outre son arrestation pour le braquage de la poste d’Oran a laissé des traces noires. Epuisé par la torture il aurait livré d’importantes informations aux enquêteurs. Vrai ? Faux ? Personne ne peut ni infirmer ni confirmer avant l’ouverture des archives.
Ce n’est qu’en 1962 que tous les doutes disparaîtront.
De Gaulle avait bien formaté son Bokassa algérien. Très peu de nos concitoyens se souvenaient de Boudiaf et d’Ait Ahmed à cette date précise. Le petit peuple chantait le nom de Ben Bella en toutes circonstances. D’ailleurs, au lendemain de l’interruption en catastrophe du Congrès de Tripoli, Ben Bella avait menacé de brûler l’Algérie s’il n’aura pas le poste de la magistrature suprême. Et, après avoir mené l’Algérie au bord de la guerre civile, il deviendra le président de tous les Algériens avec 98,90 % ou plus des voix car Benkhendda avait démissionné de son poste de président pour stopper le bain de sang entre frères de combat.
Ben Bella était l’unique candidat du FLN. Indirectement ou non c’était une très belle réussite du général De Gaulle qui avait ses loups dans notre bergerie.
Première action de l’élu du peuple mais pas à 98 % et des poussières :
Il écartera tous les révolutionnaires qui lui font de l’ombre. Boudiaf, Ait Ahmed, Lamine Debaghine, Ferhat Abbas. Les patriotes et les compétences avérées seront ses premières victimes. Il les présentera au peuple comme des ennemis de la révolution asservis par des puissances étrangères. Pendant son court règne la machine répressive benbelliste fonctionnera H.24. Enlèvements, disparitions, assassinats, internement dans les anciens camps du Sud Algérien où la puissance coloniale enfermait nos valeureux combattants dans des conditions inhumaines. L’historien Mohamed Harbi était l’éditorialiste de Révolution Africaine, il soutenait à fond le dictateur dont il deviendra le chef de cabinet. Mais très vite le Bokassa algérien fabriqué par De Gaulle sera « récupéré » par Gamal Abdenacer qui était le leader incontesté du panarabisme.
La France a perdu son Bokassa mais l’Algérie sera écrasée par un zaïm (très pale copie de Nacer) atteint du syndrome de la ‘’complotite’’ poly compliquée et qui fermera le jeu politique, criminalisera la liberté de la presse et confisquera la souveraineté citoyenne. Pour diviser les Algériens Ben Bella inventera l’attestation communale. Un crime contre la mémoire des martyrs, contre la nation et contre la révolution dont le cours sera dévié dès 1962 par les opportunistes, les « patriotes » de la vingt cinquième heure et les ‘’marsiens’’ (moudjahidine du 19 mars 1962).
En effet, trois faux témoignages suffisent à un serviteur sanguinaire du colonialisme français pour devenir un ancien moudjahed. L’historien Mohamed Harbi m’a dit qu’il était présent quand l’attestation communale a été inventée (3). L’idée lui déplaisait mais il n’avait rien dit alors qu’il était l’idéologue du FLN. Il était aussi le cerveau de Ben Bella qui n’avait que son physique et sa voix chaude pour séduire les foules. Son discours contre l’invasion de nos frontières par Haasan ll, roi du Maroc, avait fait pleuré tous les Algériens, même ses adversaires politiques.
Ainsi des milliers de harkis, de traîtres, d’amis de la France ont pu s’acheter à peu de frais une brillante carrière de révolutionnaire. Ensuite ils feront de l’attestation communale une source de revenus qui dévore le quatrième plus important budget de la république algérienne (faite par et pour le peuple).
Et quand un vrai Moudjahed, haut fonctionnaire au ministère de la justice, débusque les faux moudjahidine il sera jeté en prison comme un vulgaire criminel de droit commun. Ce n’est qu’une décennie plus tard qu’un ministre de la république, Chérif Abbas, reconnaîtra l’existence de dix mille faux anciens combattants. Cela n’empêche pas qu’en 2011 le vrai moudjahed Benyoucef Mellouk soit toujours l’ennemi public n°1 parce qu’il a eu le courage de soulever le couvercle d’un puits que l’organisation des anciens moudjahidine et leurs héritiers, les enfants des chouhada et leurs descendants, les députés, les sénateurs, les historiens officiels n’ont jamais voulu regarder de près.
Et pour cause !
Chaque attestation communale d’un harki implique trois moudjahidine qui ont témoigné sur l’honneur et signé des documents officiels qui comportent leurs faux témoignages, leur parjure et leur trahison à l’égard des martyrs de la révolution.
Voici tout ce qui reste du règne de Ben Bella parvenu à la présidence par un coup d’Etat contre Benkhedda et destitué par un coup d’Etat du même colonel qui l’avait installé sur le dos des Algériens en écartant et éliminant les premiers militants de l’indépendance.
La vie sauve, de l’argent, des usines, des lots de terrain, des villas, des postes de prestige contre l’allégeance ou l’engagement de se retirer à vie de la scène politique, c’était son offre aux opposants.
Ceux qui, comme Boudiaf, avaient rejeté sa proposition seront persécutés et interdits de séjour en Algérie de 1963 à 1990. Certains étaient autorisés de revenir après la mort de Boumediene mais ils craignaient un piège de la sécurité militaire.
Saout el Arab et Hadj Lakhar sont morts milliardaires suite à ce deal avec Ben Bella pour ne citer que les plus connus parmi les baroudeurs de la dernière phase de la guerre de libération (1954-1962). Hélas ils sont très nombreux dans ce cas tant la férocité de la répression benbelliste terrorisait les membres de leurs familles et leurs amis.
Souhaitons qu’avant sa mort Mohamed Harbi marquera son respect pour son large lectorat en levant le voile sur cette sombre période de sa vie où il tenait la chandelle au dictateur pendant que celui-ci massacrait ses opposants qui avaient osé demander une constituante, l’ouverture politique, des élections libres et le respect des libertés et des droits citoyens.
D’autant plus, qu’en 2011, tous les peuples arabes portent en eux ces revendications et meurent par centaines dans les rues en manifestant contre les dictateurs de la génération de Ben Bella ou leurs héritiers (sans jeu de mots) à l’exemple de Bachar el Assad, Sif el Islam Gueddafi, Abdallah de Jordanie, Mohamed VI etc.
Deux dictateurs ont été chassés du pouvoir par une jeunesse qui réclame justice et liberté.
En moins d’un mois en Tunisie et en Egypte, malgré leurs protecteurs et alliés américains, européens et sionistes Ben Ali et Moubarak ont été poussés à la démission à fin de sauver le régime qui pourrait les réhabiliter une fois la rue apaisée.
D’autres suivront très bientôt parce que la propagande du parti unique et le multipartisme d’opérette n’ont plus que la répression, la trahison et le mensonge pour conserver le pouvoir. Comme au Yémen, en Syrie, en Libye, en Arabie Saoudite, au Bahreïn etc.
C’est devenu trop flagrant aujourd’hui :
Moubarak, Ali Abdallah Saleh, El Gueddafi, Bachar el Assad travaillaient pour les américains et les sionistes comme tous les rois arabes, Ben Ali travaillait pour les intérêts de la France.
En écrasant et en affamant les peuples arabes tout en cumulant des fortunes incommensurables dans les banques européennes et américaines grâce à la complaisance de leurs parrains de Washington, Londres, Berlin et Paris.
Nous aurions gagné cinquante ans si le général De Gaulle n’avait pas fabriqué le Bokassa algérien pour effacer de notre mémoire les indépendantistes algériens purs qu’il n’avait pas eu le courage de faire assassiner à cause de la pression internationale.
Pouvons-nous en vouloir à un dirigeant qui travaille pour son pays ?
Hélas, à ce jour la nation algérienne continue de payer un lourd tribut, Elle est à un cheveu des révolutions qui ont balayé les régimes mafieux de Zine El Abidine Ben Ali et de Mohamed Hosni Moubarak.
A cause du régime benbelliste qui continue de gouverner encore très mal l’Algérie et propose des réformettes qui sont très loin des aspirations du peuple algérien.
Le 12 Mai 2011 Mahdi Hocine
1) ORTF : office de radiodiffusion et de télévision françaises (de statut public)
2) A l’âge de 94 ans Derdour Djamel a écrit un livre intitulé ‘’fragments de mémoire’’ (auto édition). Il voyait très mal mais il avait une mémoire très vive. Les sbires de Ben Bella avaient cherché à le tuer mais il avait fui en France. Ils l’accusaient d’avoir contribué à la préparation d’un coup d’état contre le zaïm. C’était en I964. Boumediene était encore le fidèle compagnon et l’ange gardien de Ben Bella.
3) Mohamed Harbi va nier. Pourtant nous étions à quatre personnes dans le petit salon de l’hôtel Panoramic de Constantine.
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