Le mensonge par omision est une profession de foi chez nos acteurs de la scène politique et nos révolutionnaires qui ont contribué au désastre provoqué par les guerres des clans et la mauvaise gouvernance du pays du 5 juillet 1962 à ce jour.
Le quotidien d'information El Watan a publié le 04 juin 2012, sur près d'une page et trois quart de page, la réaction de l'historien algérien Mohamed Harbi à Chérif Mehdi auteur d'une contribution sur l'exécution du colonel Chabani après une parodie de procès dont les militaires ont le secret.
La contribution de Chérif Mehdi a été publiée le 21 février 2012 par un autre quotidien d'information: le Soir d'Algérie.
Depuis que la presse écrite du secteur privé s'est ouverte au débat que l'on dit libre mais qui ne l'est pas vraiment (1) nous assistons à des chamailleries d'une certaine élite sans déontologie mais qui est courtisée par les rédactions.
Attaque et contre attaque sur fond de révélations incontrôlables que l'on prétend de première main mais qui n'apportent rien de bien intéressant et de nouveau sur le thème traité.
Quand des actrices et des acteurs de notre révolution se tapent dessus par journaux interposés cela se fait inévitablement au détriment de la vérité historique.
Certains ne cherchent qu'à se blanchir après avoir été les piliers d'un régime inclassable qui a confisqué la souveraineté citoyenne.
C'est comme appliquer une couche de maquillage qui cache parfaitement les légères cicatrices et les ridules mais pour un temps court. Surtout pour une prostituée qui doit subir un client toutes les cinq minutes.
Je ne connais pas le nommé Chérif Mehdi dont l'article du 21 février 2012 incrimine Mohamed Harbi pour avoir excercé les fonctions de directeur et d'éditorialiste de Révolution Africaine (2), de conseiller de Ben Bella avant de fuir à Paris où il vit depuis le coup d'Etat de 1965.
Je vous le dit d'entrée mais vous n'êtes pas obligés de me croire.
Tout ce que je vous demande c'est d'avoir la patience de lire ce textte et, si vous avez le temps, d'exprimer votre opinion sans excès de langage pour que nous puissions apprendre les uns des autres.
La religion de Mohamed Harbi est le mensonge par omission. Sa spécialité c'est l'esquive. C'est un fin manipulateur que les journaux huppés algériens aiment présenter en historien honnête et courageux, en intellectuel probe etc.
Je leur reconnais ce droit entièrement mais suis-je obligé d'épouser leur opinion ?
Eux aussi doivent me reconnaitre le droit de ne pas être toujours d'accord avec eux et de le crier.
C'est tout ce qui nous reste des acquis du "chahut des gamins" de 1988. Préservons le par fidélité à la mémoire des enfants et des adolescents qui ont été tués pendant les manifestations.
Mohamed Harbi a eu un long itinéraire peu commun.
Avant 1962 il fut un révolutionnaire de gauche animé par les belles idées d'un socialisme de rêve qu'aucun pays n'a pu encore appliquer ni en Europe ni en Amérique latine ni en Asie. Je ne cite pas l'Afrique et le monde Arabe parce qu'ils ne sont pas encore réellement indépendants car les peuples y sont écrasés par de féroces dictateurs avec la bénédiction des anciennes puissances coloniales, des USA et des Russes.
De 1963 à juin 1965 Mohamed Harbi fut le plus proche collaborateur, le cerveau, l'ami intime et le confident du premier dictateur de l'Algérie indépendante.
Après le 19 juin 1965 Mohamed Harbi est devenu un démocrate inoxidable, un intellectuel probe, un opposant farouche à la dictature , un historien honnête, une référence en matière de rigueur et de déontologie.
Pourtant, entre 1963 et 1965, quand il trônait dans le giron du dictateur Ahmed Ben Bella il avait aveuglement soutenu (sinon il aurait démissionné) les exactions du régime Ben Belliste contre des patriotes de la première heure qui revendiquaient un Etat de droit, une constituante, des élections libres, la démocratie.
Assassinats, enlèvements, torture, internement dans les camps du sahara fraichement hérités du général de Gaulle, exil, placement en résidence surveillée des personnalités politiques qui avaient participé aux gouvernements provisoires avant l'indépendance tel Ferhat Abbas.
Les opposants pacifiques au régime instauré par le duo Ben Bella/Boumédiene avaient un choix limité:
Se retirer de la scène politique en contrepartie d'une généreuse dotation en usines, terres agricoles, immeubles, villas, argent et médailles.
Ce qui ont refusé l'offre ont disparu, soit tués soit exilés après un cruel internement dans les camps sahariens.
Mohamed Harbi était parfaitement au courant de ces méthodes inhumaines et contre révolutionnaires. Ses écrits et ses déclarations à la presse(3) de l'époque le démontrent.
Mais la meilleure preuve, selon moi, vient de ses articles incendiaires contre Mohamed Boudiaf qui croupissait dans un camp. Comme vous l'aurez deviné, ni la famille du détenu ni les citoyens n'étaient au courant du lieu d'internement (4).
Harbi ne pouvait être que la plume du dictateur contre les opposants internés, disparus, exilés.
Tous étaient invariablement accusés par lui de servir les intérêts de puissances étrangères et de fomenter des complots contre la révolution.
A tel point où l'éminent historien fut affublé du sobriquet "monsieur complotite".
J'affirme encore ceci :
Avant de devenir directeur du cabinet présidentiel Mohamed Harbi ne pouvait pas ignorer trois choses très importantes pour l'engagement d'un intellectuel démocrate auprès d'un autocrate:
1°) Ben Bella avait menacé de brûler l''Algérie si on ne lui donnerait pas le poste de président de la république. Benkhedda lui avait cédé le trône pour éviter une guerre civile au pays.
2°) Le général de Gaulle voulait que Ben Bella soit président.
3°) C'est la France qui avait installé presque tous les dictateurs dans ses anciennes colonies en Afrique. Soixante ans après le nouveau président de la république française, François Hollande a levé un coin du voile sur la "françafrique". Serait-ce un espoir pour la main levée de la France sur notre continent ? Nous verrons.
Sur cette sombre et critiquable période de son itinéraire Mohamed Harbi contourne et magnifie la réalité historique en exploitant la marge de manoeuvre qu'autorise l'écriture "scientifique" de l'histoire.
Il maquille "scientifiquement".
Il entretient le flou artistique.
Il élude.
Il occulte.
Il relativise son rôle qui était très important dans la période cruciale où le président Ben Bella et son ministre de la défense avaient confisqué la souveraineté citoyenne en interdisant les activités politiques et en usurpant le symbole rassembleur de la nation algérienne en lutte pour son indépendance.
Trois lettres de lumière :FLN.
Trois lettres que les Algériens de toutes les religions, de toutes les tendances politiques, de toutes les couleurs, arabophones et berbérophones exhibaient à la face de l'ennemi en exposant leurs poitrines nues aux chars et à la mitraillette.
On sait que le FLN né après le fratricide de l'été 1962 n'est devenu qu'un fonds de commerce exploité par des révolutionnaires pervertis et de la dernière minute associés à des faux moudjahidine, des harkis, des tartuffes qui ont partagé entre eux la tarte Algérie comme s'ils avaient envahi et occupé un pays vidé de son peuple.
A cette époque noire Mohamed Harbi était le plus proche collaborateur, le cerveau et le protégé du Zaïm.
Ne dit-on pas que c'est à cause de lui que Boumédiene avait destitué le raïs ?
Ben Bella désirait lui offrir le poste de ministre des affaires étrangères tandis que Boumédiene avait réservé cette fonction à Bouteflika.
D'où la rupture entre le président de la république et son misnistre de la défense.
Difficile à croire tant c'est ridicule.
Mais en Algérie tout peut arriver.
Surtout au sein du sérail.
Ce dont je suis absolument certain c'est que Mohamed Harbi n'a commencé à dénoncer la dictature, la torture, l'arbitraire, dans l'Algérie indépendante qu'après le coup d'Etat de 1965.
C'est-à-dire après avoir lui-même été persécuté par le nouveau maitre du pays.
Pourtant, en cette période noire où notre pays a été poussé dans un tunnel sans fin, Mohamed Harbi était classé parmi les rares intellectuels algériens. Et ce n'était pas rien quand on évolue au sein d'un peuple qui fut enfermé dans l'ignorance pendant 132 an. En effet sous le régime colonial seuls les enfants des bachaghas, des caïds, des cadis, des notables, des amis de la France pouvaient entrer dans les collèges et les universités de la république française.
Pourquoi ai-je décidé d'écrire cette chronique qui semble virulente contre Mohamed Harbi?
C'est parce que l'historien a commencé sa réponse à Chérif Mehdi par une précison ampoulée, pas crédible du tout bien que les phrases soient joliment tournées.
-"... Mais pour édifier les générations étrangères aux évènements des années 1960 je me dois de rectifier quelques opinions préconçues répandues sur mon itinéraire et ma position dans le régime de Ben Bella".
Mais Harbi n'a rien dit de vraiment édifiant sur sa position dans le régime de Ben Bella.
Pourquoi a t-il attendu 47 ans pour "édifer" faussement des générations sévrés de vérité pour ensuite reprocher à des témoins, des chroniqueurs, des observateurs, des journalistes d'écrire ce qu'ils pensent ou ce qu'il croient être la vérité ?
Quand nous savons que c'est pendant cette période noire que le pouvoir politico militaire avait définitivement verroullé tous les espaces de liberté, de droit, d'actions et d'expression citoyennes, comment ne pas accuser ou soupçonner Mohamed Harbi d'avoir donné sa caution intellectuelle et morale à la confiscation de la souverainté citoyenne et à la répression extrêmement violente contre les opposants au régime Ben Belliste ?
Je l'ai écrit plus haut et dans des textes précédents:
Entre 1963 et 1965 Mohamed Harbi n'a pas seulement cautionné par son silence l'arbitraire, la torture, les assassinats, les enlèvements, les disparition, les internements contre les patriotes qui revendiquaient pacifiquement le retour au multipartisme, un Etat de droit, la démocratie, le respect des principes du 1er Novembre 1954.
Pourquoi ne nous a t-il pas expliqué les tenants et les aboutissants de cette position qui était tout à fait incompatible avec les principes d'un révolutionnaire démocrate ?
Un révolutionnaire qui se prétendait anti stalinien ?
Je livre ici une opinion personnelle que j'assume entièrement en ma qualité de patriote, d'auteur, de poète, de chroniqueur ayant écrit dans plusieurs journaux algériens depuis les années 1960 en tant que lecteur actif pour clamer mon indignation contre tous les Ouyahia, Ould Abbes, Ben Bouzid que nous avons commencé à subir dès les années 1960.
Mohamed Harbi a toujours menti par omission comme Khaled Nezar et tous les politiciens qui ont contribué à nos souffrances et qui, une fois victimes des purges cycliques du sérail, se découvrent une conscience citoyenne.
Ils ne nous disent que ce qui est à leur avantage.
Il y a tellement de choses sur certains acteurs de la révolution qui ne seront révèlées à l'opinion que dans un siècle ou deux. Les archives les plus compromettantes pour eux sont enterrées en France et le resteront pendant très longtemps encore.
Par conséquent chacun peut raconter ce qu'il veut sans risque d'être contredit "scientifiquement".
C'est une conviction que j'ai acquise en questionnant des politiciens de la génération de Ferhat Abbas.
En 2000 ceux-ci avaient peur de témoigner parce qu'ils furent persécutés par les deux premiers présidents de l'Algérie indépendante: Ben Bella et Boumèdiene et ils cragnaient toujours les foudres des services de sécurité.
En mai 2005, dans le cafétéria du Panoramic Hôtel situé au premier sous-sol, en présence de l'historien Merrouche et d'un ami (5), j'ai questionné Mohamed Harbi sur ses positions de 1963 à 1965. Il m'a accusé de l'avoir agressé dans sa chambre d'hôtel (6) et d'appartenir à une officine de la SM. Dans la semaine il a fait circuler deux pétitions, une en Algérie et une en France, qui ont été signées par de nombreuses personnalités politiques et intellectuelles dont madame Badinter. Les journaux algériens ont publié ses fausses accusations mais ont refusé d'insérer mon droit de réponse.
C'est cela le respect de la démocratie et de la déontologie en Algérie.
Mais le jour viendra où les vérités sortiront du fond du puits de la manipulation politique et chacun sera remis à sa place. Dèjà une génération d'historiens qui n'a pas de liens directs avec la période 1930 1965 est sur le terrain des investigations. La vérité viendra peut-être de son travail.
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Hocine Mahdi
Le 9 juin 2012
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1°) Les rédactions en chef et les directeurs de publication censurent les textes à l'humeur ou parce qu'ils ne connaissent pas personnellement les auteurs.
2°) C'est Ben Bella qui a nommé Harbi à ce poste politique.
3°) Lire El Moujahid, la Dépêche de Constantine et Révolution Africaine de 1963 à 1965. Vous découvrirez que Harbi était le Guéant et le Guénon de Ben Bella;
4°) La censure était imperméable à ce genre d'informations.
5°) Cet ami était un simple employé d'une agence d'assurance entre 1956 et 1964. Il fut jeté en prison pour tentative de coup d'Etat contre Ben Bella. La dépêche de Constantine avait consacré sa "une" à sa photo et à celle de sa machine à écrire au lendemain de son arrestation.
6°) Par mesure de sécurité il était strictement interdit aux visiteurs de monter aux chambres des clients. La direction de l'hôtel aurait appelé la SM s'il y avait eu agression contre l'historien.
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