Voici le discours le plus virulent contre la fraude électorale jamais prononcé par un parlementaire algérien pas au Palais Zighout Youcef à Alger mais au Palais Bourbon à Paris en 1951.
Election
en Algérie sous le colonialisme Français
DE LA FRAUDE ELECTORALE
Le
texte ci-dessous, très riche en enseignements, est la déclaration d’un
indigène, député messaliste, à l’assemblée française, dénonçant la fraude
électorale en Algérie par le gouvernement colonial français. Cette déclaration
s’est déroulée en 1951 au Palais Bourbon. Y sont décrites les
méthodes sournoises et violentes de l’administration pour donner la
victoire aux candidats soutenus par le gouvernement colonial contre les
nationalistes algériens.
Bourrage des urnes, corruption, intimidation,
agression.
C’est l’un des nombreux et hideux visages
du colonialisme « positif » chanté par le fasciste Nicolas Sakorzy et
son parti l’UMP depuis 2005 pour attirer dans son giron les fanatiques du front
national de la famille Le Pen et les « nostalgériques » qui hurlent
aujourd’hui comme des charognards contre la reconnaissance du bout des lèvres par
François Hollande des massacres du 17 octobre 1961 et du 8 Mai 1945 en tant que
crimes de l’Etat français contre des manifestants algériens pacifiques.
Ce texte de 1951 figure dans le journal
officiel de la république. Pour nous, citoyens des anciennes colonies
françaises, c’est un document d’une grande valeur historique… Une valeur EXCEPTIONNELLE
parce que tous les pays qui furent colonisés par la France et libérés n’ont
jamais connus d’élections honnêtes après l’indépendance car leurs
« zouama », parvenus au pouvoir par la violence, ont perpétué les
méthodes de l’ancienne puissance coloniale grâce au système réducteur du parti
unique et du multipartisme de parodie.
En 1951 le bougnoule Djamel Derdour,
député messaliste, avait donné une leçon de civisme aux dirigeants de la
république française au palais Bourbon, symbole de la démocratie à sept visages.
Il y avait avec lui Lamine Débaghine,
Boukhadoum et Mezrena.
Pour la petite histoire :
Dès qu’il s’est emparé du pouvoir Ahmed Ben
Bella a pourchassé les hommes qu’il n’a pas réussi à domestiquer. L’historien
Mohamed Harbi était son directeur de cabinet et son cerveau, un peu le Claude
Guéant ou le Patrick Buisson qui ont inspiré les discours et les actions
électoralistes xénophobes de Sarkozy entre 2007 et 2012.
Accusé de complot et de tentative de coup
d’Etat contre le régime benbelliste Derdour Djamel échappera de justesse à la
mort en 1964 et trouvera refuge à Paris.
Lamine Débaghine, comme Ferhat Abbas, sera
forcé au silence et interdit d’activité politique jusqu’à ce que mort s’en
suive.
Boukhadoum (un matheux surdoué) dirigera
des entreprises publiques et sera cadre de SONATRACH mais ne se mêlera plus de politique.
Quant à Mezréna il s’était peut-être fondu
dans l’anonymat.
L’Histoire a retenu que ces quatre
députés messalistes étaient les premiers parlementaires « indigènes »
à avoir revendiqué l’indépendance de l’Algérie en 1947 au Palais Bourbon et
avoir assimilé les forces d’occupation française à la Gestapo sous les huées
des parlementaires français.
Hocine Mahdi
Octobre 2012
Election en Algérie sous le
colonialisme Français1
Discours prononcé en Mai 1951
par un député français musulman au Palais Bourbon.
Vous n’ignorez pas qu’en Algérie la
campagne électorale commence à battre son plein. Sans préjuger le mode
électoral ou combinaison qui sera adoptée en fin de compte par l’Assemblée, je
voudrais demander au Gouvernement qui a autorité pour appliquer et faire
respecter la loi, quelles sont les mesures qu’il compte prendre pour assurer la
loyauté du scrutin en Algérie.
Il est de notre devoir de dénoncer à
cette tribune les sinistres manigances dont sont victimes les électeurs du
deuxième collège2 traités par le représentant du Pouvoir exécutif
sous le signe de l’effronterie des valets de Molière.
Il importe que chacun puisse toucher
du doigt les divers ligaments ténus, grossiers ou ingénieux avec lesquels a été
tissée, pour reprendre une vieille expression, la camisole de force du suffrage
universel algérien.
Je serai bref, me bornant à livrer à
votre réflexion et, je l’espère aussi, à votre indignation, des faits qui se
dispensent de tout commentaire et qui illustrent l’intervention faite à cette
tribune le 20 octobre dernier par notre honorable collègue M. Fonlupt-Eesperaber
qui a stigmatisé une politique qu’il considérait « comme désastreuse et
indigne de nous ».
Je passerai sous silence le
déroulement et les péripéties des scrutins dans les communes de plein exercice
pour ne retenir que les scandaleux agissements menés dans les communes mixtes
de beaucoup les plus nombreuses et les plus populeuses et dont les résultats
sont déterminants.
Dans ces communes, le jour du scrutin, les bureaux de vote sont tenus par
les administrateurs, les caïds, les aghas qui relèvent directement du
Gouvernement. La fraude sévit alors de la façon la plus cynique, la plus
écoeurante et la plus éhontée.
Voici quelques exemples significatifs :
électeurs écartés fallacieusement dès l’ouverture du scrutin sous prétexte
qu’ils ont déjà voté, voie de fait allant jusqu’à l’emprisonnement pour ceux
qui osent protester.
Ces exemples d’intimidation sont
fréquents. Cette attitude ne favorise d’ailleurs pas - semble t-il -
l’abstention, le dépouillement révélant une majorité miraculeuse en faveur du
candidat administratif (ironiquement dit).
Les garanties du scrutin fonctionnent
unilatéralement. Il est rigoureusement interdit aux candidats de l’opposition
et à leurs mandataires de pénétrer dans la salle de vote durant les opérations
électorales.
Avant le dépouillement du scrutin, sous
des prétextes spécieux, l’évacuation de la salle est ordonnée par le président
pour lui permettre de changer les urnes et de trafiquer en toute quiétude.
Les isoloirs, tout à fait superfétatoires,
ne révèlent à l’électeur que les noms des candidatures patronnées.
On ne peut pas dire, dans ces conditions,
que les votes soient l'expression d’une approbation et on ne saurait arguer de
résultats qui rivalisent avec les plébiscites les mieux dirigés d’Europe
centrale. Un exemple entre tous, celui de Ténès ou sur 19500 électeurs, le candidat
officiel a recueilli 19.000 voix.
Si le statut de Algérie, qui fut voté en
septembre 1947, avait été appliqué, il n’y aurait plus de communes mixtes, la
pression et la fraude électorale ne pourraient plus s’exercer impunément.
Vous comprendrez que ce qui nous importe le
plus ce n’est pas tant la réforme électorale par elle-même, mais davantage
l’assurance que la liberté de vote et l’honnêteté du scrutin soient garanties.
(Applaudissements au centre).
Voter, ce n’est pas se livrer à un
simulacre, voter c’est choisir et choisir
librement.
Pourquoi cette mutilation des droits du
suffrage universel ?
Croyez-vous que dans ces conditions, vous
soyez habilités à vous poser en censeurs et à contester, même par le truchement
de M. André-François Ponce, ambassadeur de France inéligible, la validité des
élections en Allemagne orientale ?
A ce propos, je ne peux m’empêcher de
souligner que 569 parlementaires français de la III République sont
frappés d’inéligibilité, non seulement en violation de la constitution de 1875
qui déclare dans son article 13, qu’ « aucun membre de l’une ou l’autre chambre
ne peut être poursuivi ou recherché à l’occasion des opinions ou votes émis par
lui dans l’exercice de ses fonctions...»
M. Joseph Denais intervient : -
‘’ C'est parfaitement exact’’.
M. Djamel Derdour reprend :
-‘’Mais également en violation de l’article 21 de la constitution de la IV République , qui reprend le même
principe en le précisant encore et qui spécifie « qu’ aucun
membre du parlement ne peut être poursuivi, recherché, détenu ou jugé à
l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses
fonctions. »
La manière dont les principes fondamentaux
du droit public français ont été également violés en ce qui concerne les
élections algériennes rappelle les procédés employés par tous les gouvernements
autoritaires. Elle se résume en cette formule : substitution de
l’arbitraire gouvernemental à la volonté du suffrage universel.
En définitive, en Afrique du nord, le
suffrage universel a été mis en tutelle. Dans le même temps où l’on proclamait
citoyens tous les ressortissants des territoires d’outre-mer, on soumettait nos
départements3 à un odieux régime de dictature à la fois violente et
sournoise.
En multipliant les illégalités et les
abus de pouvoirs, en s’arrogeant le droit de maquiller les urnes pour remplacer
les élus du peuple par des délégués de son choix, le Gouvernement a porté une
double atteinte à la souveraineté populaire. Il a prolongé, à son profit, le
système fasciste qui, selon la fameuse définition de Guglielmo Ferrero, est
« le suffrage universel contrôlé par le Gouvernement ».
Le devoir des républicains est de
condamner de telles méthodes comme indignes de la démocratie.
La loi du 25 avril 1946 dispose qu’à
partir du 1er juin de la même année, tous les ressortissants des
territoires d’outre-mer ont la qualité de citoyens au même titre que les
nationaux Français de la métropole.
Certes, cette loi, le Gouvernement a le
devoir de la respecter et de la faire respecter. Nous avons démontré qu’elle a été violée. Il
nous reste à établir que la violation n’est pas moins grande à l’égard des
idées, des principes et des prescriptions énoncées par Déclaration universelle
des droits de l’homme, acceptée le 10 janvier 1948 par l’Assemblée des nations
unies. Nous nous en réclamons parce qu’elle est l’expression de la plus haute
conscience humaine.
L’article 21 de
Déclaration dispose :
« Toute personne a le droit de
prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit
directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis »
Cet article précise dans le paragraphe
3 :
« La volonté du peuple est le fondement
de l’autorité des pouvoirs publics. Cette volonté doit s’exprimer par des
élection honnêtes ».
Or en Algérie, quelle que soit la
tristesse que l’on éprouve à le constater, le système électoral, tel qu’il
fonctionne, fait que les élections ne sont pas honnêtes, puisque, par la
pression administrative et la fraude cyniquement organisée, elles brisent et
limitent le libre choix des électeurs.
Un régime qui mutile la liberté en même
temps qu’il la proclame, un régime qui met également au ban politique et moral
de la nation des citoyens qu’il classe en deuxiéme zone est un régime engagé
sur la pente où la démocratie est abandonnée.
D’aucuns penseront peut-être que, victime
des agissements que j’ai dénoncés, je fais une intervention intéressée.
Non, mesdames, messieurs. Je suis un élu
du peuple algérien et ma personne ne compte pas. C’est pour l’ensemble de mes
compatriotes que je voudrais qu’il fût mis un terme à de pareilles coutumes et
que le droit fût rétabli. C’est le suffrage universel et le droit
imprescriptible que j’entends défendre, c’est aussi et surtout la dignité d’un
peuple fier.
Si l’on continue à fouler aux pieds avec
cette désinvolture la justice et le droit, comment voulez-vous que nous
puissions distinguer le clair et lumineux visage d’une France fraternelle alors
que l’Algérie ne serait démocratique que par la misère de son peuple.
(Applaudissements sur quelques bans au centre)
Le président du conseil conclut
:
-‘’ M. Derdour m’a posé une question
quelque peu étrangère au débat, concernant la sincérité des opérations
électorales en Algérie. Je désire lui donner l’assurance que le Gouvernement
tient également à cette sincérité et qu’il y veillera4 ‘’.
DERDOUR
JAMEL
Député musulman en république
française de 1946 à 1953, PPA-MTLD
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1) Intervention à l’assemblée
nationale française, au palais Bourbon, de Mr. Djamel Derdour, député
messaliste de Constantine, à propos des élections du 2° collège en Algérie.
Elle a été reprise intégralement dans le journal officiel du 8 Mai I 951.
2) Dans les documents administratifs
l’administration coloniale faisait la distinction entre les citoyens du premier
collège, les Français, les européens (chrétiens et juifs) et les sous-citoyens
du deuxième collège, les indigènes (musulmans). La voix d'un citoyen européen valait les voix de 10 indigènes.
3) L’Algérie était divisée en
trois départements français.
4) C’était un mensonge.
Paradoxalement ce mensonge sera répété par tous les gouvernements de l’Algérie
indépendante de 1963 à 2014.
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