Saturday, November 01, 2014

Le silence des vrais moudjahidine, pourquoi ?

Cela fait 19 jours que je réfléchis sur la manière de parler d'une rencontre avec un octogénaire que je ne connaissais pas alors que nous appartenons à la même tribu. 
C'était au mariage d'un proche parent commun, le 11 octobre 2014. 
Nous étions assis à la même table, en spectateurs amusés par les jeunes qui se défoulaient avec frénésie sur la piste de danse. Mais voici que le vieillard se plie en deux, le visage ravagé par la douleur. Je me lève pour lui porter secours. Il me rassure :
- Soyez tranquille monsieur, cela va passer. J'ai des calculs, le diabète, la tension et un tas de maladies qui labourent mon corps. La douleur...
Il continue de me parler de ses problèmes de santé puis il enchaîne sans préambule sur un autre sujet. 
Le ton est amère. L'homme en avait vraiment gros sur le coeur.
- On accuse les moudjahidine d'avoir tout pris. Ce sont les faux moudjahidine qui ont profité de l'indépendance pas nous.
J'ai eu une réaction épidermique :
- C'est de votre faute. Vous avez abandonné l'Algérie en 1962. Les faux moudjahidine et les harkis ont occupé le terrain. Pourquoi vous avez laissé Mellouk Benyoucef seul contre une légion de faussaires et de juges ? Il défend la mémoire des martyrs et votre honneur.
Je regrette tout de suite la violence de ma réplique. 
J'avais en tête l'affaire des magistrats faussaires qui fait l'actualité depuis 1992. A ce jour Mellouk Benyoucef est harcelé par des anciens ministres et des juges qui ne lui pardonnent pas son patriotisme. Mais mon interlocuteur semblait satisfait d'avoir en face de lui un homme qui accuse et pose des questions sans détour. Il me répond calmement :
- Nous avons été démobilisés de force. Une fois revenu en Algérie Boumediène a désarmé tous les moudjahidine de l'intérieur et les a remplacés par des individus qui étaient planqués très loin des maquis. Sur son chemin entre Tunis et Alger Boumédiène avait recruté plus de 26.000 supplétifs pour remplacer les maquisards qui ont combattu l'armée française. Ceux qui sont rentrés de Oujda ont aussi embauché 30.000 supplétifs dans les mêmes conditions et pour les mêmes raisons. Ils avaient peur de nous.
- Avez-vous des documents ?
- Je suis un document vivant. Je suis allé plusieurs fois en Tunisie pour chercher des armes et j'ai vu ce qui s'y passait. C'était la contre-révolution qui se préparait. Boumédiène aimait travailler avec les soldats que lui envoyait le général de Gaulle. Des faux déserteurs qui débarquaient en Tunisie via l'Italie et la Suisse.
- Il les utilisait...
- Non. Ils l'ont utilisé Il s'en est rendu compte en 1978. C'était trop tard. Ils l'ont liquidé. Ce sont eux qui tiennent le pays depuis sa mort. Ce sont eux qui ont tué Boudiaf.
- N'est- ce pas de votre faute ? Pourquoi avez-vous gardé le silence ? Pourquoi avez-vous laissé faire ?
- Celui qui parlait mourait.
- Et pourquoi parlez-vous maintenant ?
- Qu'ils me tuent ! Je n'en ai rien à f... Vous ne connaissez pas Boumédiène. Sa nomination à la tête de l'Etat major n'a pas plu aux officiers de l'intérieur qui ne le connaissaient pas. Pour s'imposer il  a exécuté 40 (quarante) d'entre-eux. Pour avoir une armée sur mesure il nous a chassés de l'ANP comme des malpropres en réduisant nos salaires de moitié. C'était humiliant de se voir remplacer par les harkis que De Gaulle avait abandonnés en Algérie. C'était une grande trahison. 
L'octogénaire se confiait avec amertume à un inconnu.
- Pourquoi n'avez-vous pas écrit vos mémoires. Vous êtes tellement chargé.
- Je laisse à Dieu de demander des comptes aux traîtres. 
Avant de nous séparer il m'apprend qu'il avait exercé le métier de journaliste. Nous avons convenu d'une autre rencontre sans fixer une date. 
Un vrai moudjahid qui décide de parler après plus de cinquante ans de silence mérite notre écoute. Nous avons beaucoup à apprendre de lui. D'autant plus qu'il n'a pas encore digéré la manière dont il a été chassé de l'ANP pour céder la place aux moudjahidine du 19 mars 1962.    
................................
Hocine Mahdi
........ Le premier jour de novembre 2014
..........................................................................

PS. J'ai senti que je devais transcrire cette courte discussion. L'octogénaire est un ancien et vrai moudjahid de la première heure qui s'est enfermé dans un long silence et dans la souffrance parce qu'il s'est senti trahi par sa hiérarchie qui vivait la guerre de l'extérieur, confortablement planqués au Maroc, au Mali, en Tunisie et ailleurs.         
                

No comments: