Vu et entendu
Mort pour la France
Dans la soirée du 3 décembre 2008 la chaîne 3 de la télévision publique française a revisité les atrocités des guerres du vingtième siècle. Celles bien entendu qui ont mobilisé, souvent contre leur gré, des adolescents français sous le drapeau tricolore au son de la Marseillaise : cet hymne résolument martial qui fut inventé par Rouget de l’Isle pour haranguer les foules pendant la belle révolution française contre la monarchie.
Les documents filmés qui ont été diffusés proviennent des archives de l’INA qui détient des preuves irréfutables que le système colonial est un crime contre l’humanité. Les invités sur le plateau sont des acteurs qui ont survécu aux guerres de 1939 – 1945, du Vietnam et d’Afrique, notamment la dernière phase de la longue guerre de libération d’Algérie (1830-1962). Une guerre de toutes les atrocités imaginables presque ininterrompues en 132 ans d’un système colonial inhumain.
Combien de jeunes français engagés par amour de leur patrie ou enrôlés de force pour servir de chair à canon n’ont jamais accepté de parler de leurs traumatismes, estimant qu’ils avaient manqué à leurs devoirs d’humanistes face à des crimes gratuits perpétrés contre des populations civiles qui vivaient dans un total dénuement, en sous humains ? C’était particulièrement visible dans les séquences filmées au Vietnam et en Algérie en feu.
Pierre Maunilari, âgé aujourd’hui de 74 ans (soixante quatorze ans), fut envoyé en 1956 en Algérie. Il avait 22 ans (vingt-deux ans), ingénieur de formation il avait toutes les raisons de voir l’avenir en rose. La France était en plein boom économique. Hélas ! Il avait compté sans les « événements » d’Algérie qui allaient bouleverser les prévisions et les rêves d’une jeunesse qui mordait la vie à pleines dents.
Après le visionnage de séquences qui montrent les lieux où il avait combattu les fellaghas Pierre Maunilari commence à évoquer ses souvenirs. Mais au bout de quelques secondes les sanglots l’étouffent et des larmes coulent sur ses joues de respectable vieillard qui ne peut oublier les horreurs d’une guerre où il fut poussé sous la contrainte de la loi. Tout de même il aura la force de rapporter deux faits qui l’ont profondément marqué. Il a assisté à la torture d’un suspect. A ses yeux c’était un grand déshonneur pour tous les soldats et pour l’Etat républicain. Une autre fois, en sa présence on a tué un détenu en lui tirant dans le dos. Il décrit succinctement l’assassinat : ‘’Un soldat a ordonné au détenu d’aller chercher du bois. Le détenu a tourné le dos. Le soldat a tiré sur lui. On appelle cela la corvée de bois’’.
52 ans après l’assassinat le vieillard Pierre Maunilari pleure comme un enfant quand il témoigne de ce qu’il a vu quand il était jeune soldat dans nos djebels.
A la lumière de son témoignage nous comprenons pourquoi des dizaines de milliers de soldats français se taisent sur ce qu’ils ont vu et fait pendant la guerre d’Algérie. Ils se reprochent d’avoir participé à une guerre qu’en leur âme et conscience ils n’admettaient pas. Ils évitent d’en parler pour essayer de guérir d’un traumatisme incurable. Nombreux s’accusent de lâcheté, de couardise. En 1956 les associations des objecteurs de conscience, des pacifistes et les comités contre la torture étaient à l’état embryonnaire. Les militaires de la sensibilité de Pierre Maunilari souffraient.
Seuls.
En silence.
Ils n’avaient pas avec qui partager leur fardeau. Certains ont déserté, d’autres se sont suicidés, d’autres encore ont perdu la raison ou sombré dans l’alcoolisme et la consommation de la drogue. Mais un grand nombre s’enferme avec ses douloureux souvenirs. Ils ne voulaient pas aller au Vietnam, en Algérie, en Syrie, au Tchad tuer ou mourir pour la France colonialiste qui se prétendait mère des droits de l’homme, mais on les avait envoyés de force, au nom d’une loi scélérate qui dévoie le devoir citoyen et le patriotisme.
Les sanglots de Pierre Maunilari devraient être une leçon d’humilité pour les nostalgiques du système colonial et pour les sarkozistes qui falsifient l’histoire avec leurs lois du colonialisme « positif ». Des lois qui tendent à effacer un passé dont la France officielle a honte et qu’elle ne peut regarder en face et assumer.
Le jour viendra où des magistrats du tribunal international consciencieux remettront les pendules à l’heure du droit, de l’histoire non falsifiée et de la justice, écouteront enfin tous les peuples opprimés et éviteront à tous les Pierre Maunilari du monde de souffrir pendant plus de cinquante ans d’un traumatisme d’une guerre qu’ils ne voulaient pas faire parce qu’elle ne les concernait pas et parce qu’elle était injuste.
Nous n’attendons pas cette révolution intellectuelle, juridique, morale, humaine en un mot, de Carla d’El Ponte, de Luis Moréno Ocampo, de Ban Ki-moon et de la commission juridique actuelle de l’Union Européenne. Mais les crimes US en Irak, au Liban, en Palestine et en Amérique latine ont ouvert les yeux des citoyens dans les cinq continents. Forcément de ce réveil brutal de la citoyenneté universelle émergeront des femmes et des hommes libres et respectueux des droits humains qui oeuvreront pour la justice, la paix et le bien être de la personne sans discrimination.
L’émission de la chaîne 3 de la télévision publique française diffusée une semaine avant la célébration de l’historique journée du 11 décembre 1960 en Algérie, serait-ce un hasard ?
Ce jour là le peuple algérien avait envahi les rues pour réclamer l’indépendance. Il était armé de banderoles, de courage et d’espoir.
Ce jour là le peuple algérien avait gagné la guerre sans tirer un seul coup de feu contre des soldats enragés qui mitraillaient de toutes les directions pour assassiner le plus de manifestants possible.
Quant à la puissance coloniale, elle croyait avoir étouffé la révolution algérienne grâce à la terrible campagne de répression exercée contre le peuple par l’armée française. Une armée qui se croyait invincible et que le gouvernement socialiste de l’époque avait dotée des pleins pouvoirs. Une armée enfin heureuse d’avoir effacé son humiliante défaite de Dien Bien Phu en écrasant les maquisards algériens et en pacifiant pour un siècle l’Algérie.
L’histoire se répète.
Le 1° Mai 2003 Bush avait annoncé pompeusement la conquête de l’Irak sans la perte d’un soldat US. Mais c’est à partir de ce moment que les soldats américains commencèrent à mourir par dizaines. La guerre de l’Irak avait réellement débuté après cette annonce prématurée d’un chef d’Etat qui ignore le sens qu’accordent les peuples vaincus au mot indépendance.
L’histoire se répète cruellement parce que les hommes du pouvoir et les puissances spoliatrices n’en retiennent pas les leçons.
Le 9 décembre 2008-
Mahdi Hocine
No comments:
Post a Comment