Guelma, avec Sétif et Kherrata, restera dans l’inconscient collectif l'une des pages les plus sanglantes de l’indicible barbarie coloniale européenne du pôle nord au pôle sud. Nous nous y sommes rendu en marge des festivités officielles pour les besoins d’une chronique. La loi négationniste de Douste Blazy du 23 février 2005 exige de nous une vigoureuse réaction en soutien aux historiens et aux humanistes français qui se sont mobilisés en vue d’obtenir l’abrogation de l’ensemble des articles après avoir imposé à Chirac l’annulation de l’article quatre de cette loi impensable .
A Héliopolis nous avons rencontré quelques membres du conseil municipal, le responsable local des moudjahidine et l’inévitable (pas dans le sens péjoratif) Mr fnides, seul survivant, parmi les rares témoins du massacre de Kef Bomba en 1945.
C’était l’une des sombres illustrations des ratonnades menées dans plusieurs villes d’Algérie par des milices formées de colons, de fonctionnaires, de policiers en civil. Des manifestations pacifiques noyées dans le sang. Chrétiens et juifs importés d’Europe contre musulmans d’Algérie ? Pas seulement !
Le drapeau algérien avait flotté au dessus des têtes des manifestants dont certains avaient prononcé le mot sacrilège : Indépendance.
Un simple rappel aux alliés d’une promesse faite aux autochtones : Engagez-vous dans l’armée Française. Dés que Hitler sera vaincu vous aurez votre indépendance …
Les Américains, les Anglais et les Français avaient besoin qu'on leur rappelât que la parole donnée engage l’honneur. Les manifestations pacifiques du 8 mai 1945 à Sétif, Constantine, Guelma, étaient à la fois la célébration de la victoire des alliés sur le fascisme et la revendication d’un droit reconnu à tous les peuples par la société des nations ; l’autodétermination.
Les colons n’avaient pas apprécié.
Mr fnides Mohamed avait vingt ans. Non, un peu moins.
En ce jour maudit, il se trouvait sur les auteurs de Kef Bomba avec un compagnon.
Légèrement en contre bas par rapport à son poste d’observation, les miliciens alignèrent cinquante quatre captifs et ouvrirent le feu.
Quand, quatre ou cinq mois plus tard, les miliciens revinrent sur le lieu du massacre, Fnides
Mohamed était présent. Cette fois un grand nombre des habitants d’Héliopolis était sur place.
Les colons déterrèrent les cadavres et les chargèrent sur un camion. Direction la carrière de chaux. Les assassins installèrent des barrages autour du site .Sûrement pour ne pas être dérangés dans leur sale besogne. Aucun arabe ne fut autorisé de passer.
IL y eut un incessant va et vient de camions entre la carrière et les villages des environs puis une forte odeur de chair brûlée, odeur pestilentielle qui brûle la gorge et les yeux. Les fours à
chaux étaient devenus des fours crématoires à l’hitlérienne.
La quête de la vérité historique est difficile quand les services officiels, autorités militaires et civiles, abandonnent le champ des opérations aux miliciens. L’encouragement des carnages est doublé d’une carence administrative. Pas de rapport officiel, pas de cadavre … Donc juridiquement pas de crime, pas de coupable. Ainsi nous nous sommes trouvés ballottés entre des versions contradictoires d’un historien à l’autre. Pour nous cela avait commencé en 2005, Avec ce qui nous semble être une tentative de relativiser les crimes du colonialisme en Algérie .Bien qu’il ne dispose d’aucune preuve Mr Harbi affirme qu'aucun être vivant ne fut grillé . Mensonge flagrant. Pourquoi ? Quand un historien ment de la sorte avec l’assurance d’un chercheur rigoureux qui a exploré toutes les pistes qui mènent à la vérité, il pose plus de questions qu'il n'en solutionne. Car dans le domaine de l'histoire les mensonges et les manipulations ne sont pas fortuits ni gratuits, d'ailleurs.
Toutes les enquêtes commencent par l’audition du témoin principal
Mr fnides est bien connu… Radio, télévision et journaux avaient diffusé son témoignage dans les années quatre vingt. Nous nous devions de l’écouter.
- A t-on brûlé des cadavres seulement dans les fours ?
- Il ment celui qui répondra à cette question. Les miliciens avaient encerclé la carrière. Nous étions très loin. Pas un seul arabe n’a pu voir ce qui se passait. Les mauvaise odeurs nous disaient que des être humains étaient dévorés par le feu. Personne ne se posait des questions. Vivants ou morts, C’étaient des Algériens et seulement des Algériens.
Un autre Moujahid intervint:
-Des brûlés vifs, nous en connaissons trois frères. Les Maazem. Ils furent torturés, ligotés en fagot, arrosés d’essence. Le reste. Vous le devinez sans mal. Un spectacle effroyable.
Il y a des questions qui resteront éternellement sans réponse. En ces mois de folie meurtrière du deuxième et du troisième trimestres de 1945, Combien d’Algériens ont été grillés de la sorte ? Combien ont été jetés morts et vivants dans les fours ?
Longtemps après leur forfait et pendant leurs grosses beuveries du samedi soir des colons , des policiers, des fonctionnaires avaient eu un bon sujet de conversation : le « Rôti » de bougnoule. Bavardages obscènes qui n’amusent et ne procurent de l'orgasme qu'aux fascistes. De la haine, de la haine et de la haine…Cependant pas un seul document exploitable qui confirme ou infirme les témoignages des rares survivants. C’est pour cela que des écrivains , des chroniqueurs , des historiens aussi rigoureux que Jacques Vergés, dont nous saluons le formidable travail contre la barbarie du colonialisme à travers le monde, sont embarrassées quand nous les interrogeons sur les sources de telle ou telle information qu’ils nous communiquent .
Après cette discussion nous retournons à la carrière à chaux.
Deux hommes nous accompagnent.
- Où sont les fours ?
On nous montre une plateforme rectangulaire revêtue de ciment et une stèle d’une indicible laideur peinturlurée à la va vite à l’occasion de la visite de cinq ministres, qui seront accompagnés de Jacques Vergés, Nicole Dreyfus, Jean Louis Planche, Mohamed Ould Si Kaddour El Corso, Zoubir Chaouch Ramdane et d’une délégation nombreuse d’historiens et de professeurs de l’université, ainsi que de représentants de l’association nationale du 8 mai 45.
Nous sommes sidérés.
Mr Fnides nous décrit ce que furent les fours et leur fonctionnement :
- Par là il y avait des rails. Un âne tirait les wagons remplis de pierres jusqu’au sommet de la stèle….
Impossible d’imaginer la hauteur et la largeur des fours.
- Qui a rasé les fours ?
Personne ne répond.
La colère nous fait oublier que nous sommes des invités officieux.
- Mais c’est un crime contre notre mémoire. C’est un crime contre notre histoire.
Mr Fnides répond:
- C’est la mairie.
- Quand a été commis ce crime contre notre mémoire ?
Nous sommes en face du responsable des anciens moudjahidine qui prétend ne rien savoir. Quant à nous, nous croyons qu’il a participé au crime. Il se retire d’ailleurs. Nous pensons qu’il était au courant de tout ce qui se faisait à Héliopolis.
Mr Fnides brise encore le silence :
- Cela doit être dans les années 80.
Pas étonnant du tout.
C’était la décennie de tous les reniements, de toutes les trahisons Même le nachid kassaman fut amputé de ses vers qui incriminent nommément la France et dénoncent ses crimes abjects.
Viennent-ils seulement de se rendre compte, qu'en rasant les fours, ils avaient offert un cadeau inespéré au colonialisme ? Effacer une preuve aussi criante, aussi accablante d’un crime contre l’humanité …..
Bêtise d’élus incompétents ?
Décision de moudjahidine incultes qui rasent les symboles de la terreur pour se libérer de douloureux souvenirs ?
Mais autour de ces gens il y a des associations dont les membres connaissent la valeur historique de certains sites qui constituent des pièces à conviction pour les chercheurs et pour les magistrats du T.P.I autant que pour les historiens.
Pendant des décennies les autorités nationales et locales ont dépensé des milliards en zerda pour la célébration du 8 mai 1945. Pourtant elles ont escamoté la preuve la plus solide qu’elles détenaient contre la barbarie coloniale à Guelma.
Qu’aurait coûté la reconstitution des fours, de la dizaine de mètres de rails, de la remise en état d’un ou de deux wagons et de l’aménagement du site en un musée des massacres.
Sans doute cela aurait coûté moins cher qu’un séjour de 24 heures d’une délégation de cinq ministres.
Sans doute cela aurait coûté moins cher que la hideuse stèle qui ressemble à des centaines d’autres qui sont semée à travers tout le pays. Alors que Héliopolis est à classer avec Auschwitz et Oradour- sur-Glane dans la symbolique de l’holocauste.
L’oubli commence au moment où un peuple commet l’irréparable action de déchirer une page de son Histoire. Et les fours à chaux, si modestes soient-ils en volume, Sont une page de notre histoire.
Je doute fort que me démentiront sur ce point Mohamed Ould Si Kaddour El Corso, Jacques Vergés, Nicole Dreyfus, Jean Louis Planche, le ministre des moudjahidine, le recteur de l’université de Guelma et Khalida Messaoudi Toumi.
Hocine Mahdi
Le 10 MAI 2006
No comments:
Post a Comment