Sunday, December 31, 2017

Discours du président Macron un 8 mai 1945 s'il était Algérien



Chers concitoyens,
Mesdames, messieurs et vous jeunes filles, jeunes gens, enfants qui – pour prendre part à cette cérémonie commémorative aux côtés de vos camarades des établissements de Sétif, de Guelma, de Kherrata,  vous êtes venus de Touggourt, de Djelfa, d'Héliopolis, de Tindouf et de toutes les villes f'Algérie. c’est à vous que je m’adresse aujourd’hui.
Inévitablement le temps passe, les survivants du drame peu à peu se font rares.
Je salue avec respect et affection les survivants des massacres de Sétif, Guelma, kherrata dont certains sont ici parmi nous.
Je salue aussi les familles des victimes qui conservent gravé dans le cœur cette journée tragique. 
Voyez ces ruines qui sont derrière vous, déjà la pluie et le soleil après tant de décennies ont effacé les traces noires de l’incendie dévastateur. L’herbe a repoussé, l’impact des balles tirées ce jour-là sur les hommes, les femmes, les enfants, les vieillards s’est poli sur ces murs et se confond avec l’érosion de la pierre.
Il en va de même en ce qui concerne la mémoire, elle aussi forcément s’érode.
Ce qui se transmet risque de s’affadir, sans cesse nous devons raviver la flamme et lui redonner sens. 

C’est pourquoi j’ai voulu que vous soyez présents ici, présents aux côtés des enfants de Sétif, de Guelma, de Kherrata, vous, centaines d’enfants des écoles d'Algérie, pour que la mémoire soit transmise dans sa substance par la vision des ruines, des tombes, des noms.
Je sais que cette journée restera pour vous un moment singulier, parce que vous aurez vu ces lieux de vos yeux, parce que vous aurez serré la main des rescapés et discuté avec eux. C’est ainsi que se perpétue le fil de l’histoire. J’ai voulu que vous deveniez vous aussi des témoins.
Etre témoin c’est d’abord honorer la mémoire des victimes. Nous sommes ici pour pleurer les morts. Ils reposent derrière moi. 
 Nous leur offrirons l’hommage et le souvenir de toute la nation.
Ce soir, revenus dans vos familles, vous raconterez cette journée.  Et plusieurs années après, vous vous souviendrez de ces visages comme on se souvient de ses contemporains, et vous les ferez revivre.
Quelques noms de ceux qui se sont tus pour toujours le 8 mai 1945 résonneront par votre bouche, dans des endroits d'Algérie où jamais ils n'avaient été prononcés. Par vous, ils vivront.
Ce soir vous serez des témoins et vous serez devenus à votre tour des passeurs. Mais vous serez bien plus encore, car Sétif, Guelma, Kherrata ce n'est pas seulement un drame,  ce n’est pas seulement une épouvantable tragédie. Sétif, Guelma, Kherrata représentent un scandale, un scandale absolu.
Sétif, Guelma, Kherrata, ce 8 mai 1945, c'était l'Algérie. La journée avait commencé comme celle d’aujourd’hui. Le ciel était merveilleusement bleu.
Il faisait beau. Des dizaines d'hommes étaient réunis pour saluer la victoire des alliés et la libération de l'Europe dont la France où nos enfants, nos frères, nos parents avaient combattu les hordes nazis aux côtés des Français, des anglais et des américains. 

Nul ne pressentais alors l'orage d'acier et de feu qui allait déferler, nul ne se doutait que les quartiers de Sétif, Guelma, Kherrata allaient être jonchées de cadavres d'innocents et que de nombreux villages ne deviendraient plus que des champs de ruines, calcinés, envahis par l'odeur de la mort.
45.000 hommes, femmes, enfants, vieillards furent fusillés, décapités, estropiés, brûlés, grillés dans des fours à chaux. 

Leurs cris d'épouvante et de douleur s'entendirent à plusieurs kilomètres à la ronde.

Parce que c'était Sétif, Guelma, Kherrata, parce que ce furent ces femmes et ces enfants, parce que ce furent ces vieillards et ces hommes dans la force de l'âge, parce que le supplice fut si sauvage, si radical, si ignoble, c’est l'Algérie colonisée ce jour-là qui fut frappée au cœur.

Ce n'était pas le premier et ce ne sera pas le dernier massacre visant les Algériens qui osaient prononcer le mot sacrilège "Indépendance". La république française, première puissance européenne usurpatrice en Afrique, ne supportait pas que les peuples qu'elle dominait aient l'outrecuidance de réclamer des droits élémentaires. 

C'était cela le visage hideux du système colonial français. 
Le massacre de Sétif, Guelma, Kherrata c'est le triomphe de l'arbitraire, c'est la cruauté sans partage, c'est la pitié oubliée, c'est la piété bafouée. 
Sétif, Guelma, Kherrata c'est la sauvagerie brutale, c'est l'appétit effréné du sang et de la mort.
Si le récit de ce massacre et la vue de ces ruines nous donnent encore aujourd’hui une indicible nausée, c'est parce que nous savons intimement, au creux de nos tripes, au cœur de notre conscience que ce qui se produisit ce jour-là est exactement ce que l'Algérie, l’Histoire de l'Algérie, les héros de l'Algérie ont toujours voulu combattre.
Le martyre de Sétif, Guelma, Kherrata concentre tous ce qui nous révulse, tout ce qui nous révolte. Il attente à des hommes, à des femmes, à des enfants, à des vieillards, mais il attente aussi à la conscience Algérienne, à la conscience humaine. C’est tout ce contre quoi nous avons bâti nos valeurs, notre culture, notre civilisation.
Notre conscience ici s'insurge parce qu'a été piétiné ce qui nous construit en profondeur, le respect de la vie humaine. Nous ne serions pas le peuple que nous sommes si nous ne donnions à l'autre un statut sacré. C'est parce que nous lui conférons cette dignité suprême que nous sommes soucieux collectivement de protéger, éduquer, soigner, secourir, défendre, aider l’autre.
L'Algérie est ce pays où depuis des siècles nous faisons de la vie de l'autre un sanctuaire : droit, justice, dignité sont le cœur de notre effort commun. Cet effort parfois échoue. L’Histoire en déjoue les intentions. Alors nous essayons encore. Nous y travaillons sans relâche.
Ce jour du 8 mai 1945, c'est tout ce que nous haïssons qui s’est abattu sur Sétif, Guelma, Kherrata et des dizaines de villages de l'Est algérien. La vie humaine fut comptée pour rien, l'innocence fut assassinée, la souffrance des victimes fit le plaisir des bourreaux. La mort devint un jeu, le néant un but.
« Plus jamais ça », ont crié des générations de survivants aux guerres atroces du XXème siècle ; « Plus jamais ça », ont crié les familles de Sétif, d'Alger, de Biskra, de Constantine, de Tamanrasset, de Tébessa, de Tlemcen, de tant d’autres lieux de supplices.

 « Plus jamais ça » ont clamé les rares rescapés des camps du Sahara.
Mais nous savons bien que tout recommence et que tout peut recommencer. Et ce sera votre responsabilité à vous jeunes gens de toujours y veiller, parce que jamais vous n'oublierez, parce que nous savons bien en effet qu'à nos portes cela continue. 

Nous aimerions pouvoir dire que désormais cela se passe loin de chez nous ou que cela n’advient plus, mais l'Irak détruit par les Américains, la Libye disloquée par la France, le Yémen martyrisé par la coalition Arabie saoudite-Emirats arabes unis-Bahreïn, la Palestine colonisée par des Américains et des Européens, aujourd'hui c'est  chez nous.
Et parfois c'est chez nous, au sein de nos populations et de nos territoires, que resurgit la bestialité infâme, celle-là même qui dévasta Sétif, Guelma, Kherrata. Les ruines de nos villes et de nos village ne font hélas pas rempart contre cette barbarie qui toujours couve; et pas davantage le visage des enfants suppliciés, martyrisés. Non, le seul rempart contre la folie meurtrière qui couve dans le cœur des hommes, c'est notre conscience et c'est notre exigence de chaque instant. C'est ce fil qui nous relie à chacun, à notre histoire, à notre humanité.
Nous venons ici la retremper à sa source. Ici notre conscience se fortifie parce qu'ici elle voit, elle sait, elle touche ce contre quoi elle se dresse. Ici, nous faisons provision d’indignation.
Je vous ai dit que ce soir vous seriez davantage que des témoins : j'aimerais que vous soyez devenus des consciences. Puisse cette journée vous rappeler sans cesse que la paix, le respect, la tolérance, l’humanité ne sont jamais acquis. Ce sont des gains fragiles sur la violence et le néant. Vous en êtes les dépositaires, prenez en soin.
Le monde est instable, il est dangereux. Il l’était en 1830 et il l’est encore aujourd'hui. La barbarie, dès qu'elle le peut, se reforme et son visage ne change pas. Il est toujours celui de la sauvagerie, se dissimulant derrière un idéal dévoyé, brandissant des étendards sanglants et se ruant vers la mort et la destruction sans jamais en être rassasiée. Car le monde toujours éprouve notre conscience ; elle est notre seul recours. Rendons-la forte, rendons-la vigilante, rendons-la intransigeante.
Ne supportons pas que soit attaqué ou repris un seul des espaces conquis par nos luttes communes. N'acceptons pas que les fruits de nos victoires qui s'appellent République, démocratie, droit de l’homme et du citoyen, qui s’appellent liberté, paix, justice soient menacés ou contestés par les apôtres du néant, fanatiques en tous genres, extrémistes de toutes figures.
Tous ceux qui pour défendre une cause nient l'humanité de l’autre sont dans l’erreur, car nous sommes tous enracinés dans notre humanité. Il n'est pas de cause qui vaille si elle oublie cela.
Il est des mots aujourd'hui en Algérie dont certains moquent l’innocence un peu naïve : humanisme, tolérance, bienveillance, espérance, revendiquez-les, défendez-les, faites-en vos drapeaux contre les drapeaux sanglants et le relativisme corrosif dont notre monde souffre tant.
Tout ne se vaut pas. La parole des rescapés de Sétif, Guelma, Kherrata pèse plus qu'une autre. C'est cela être une conscience et c'est cela ce à quoi aussi, notre école doit veiller. 
Se souvenir ce n'est pas seulement se rendre dans des lieux de pèlerinage indiqués par les professeurs ou les guides touristiques. C'est vouloir comprendre pourquoi nous sommes là. C’est saisir ce qui nous lie et qui nous unit. C’est revivre ce que nous avons affronté, surmonté, vaincu pour être ce que nous sommes redevenus après une longue nuit coloniale de près d'un siècle et demi : une nation.
C'est aussi percevoir le sens qu'il y a à poursuivre cet immense projet, cette merveilleuse ambition qu'on appelle l'Algérie. Oui, le monde est complexe, comprenez-le, soyez à la hauteur de ce qu'il exige de vous et soyez exigeants avec lui. Ouvrez-vous à lui, n’en ayez pas peur. Apprenez à l’aimer mais aussi à le changer. C'est à cela que sert l'éducation. Elle arme votre conscience contre les tentations mauvaises, la passivité morale et fait de vous des citoyens qui sauront opposer à tous les Sétif, les Guelma, les Kerrata le goût inépuisable de la vie et de l’avenir. 
Ici, on dirait que le cri des martyrs ne s'est jamais tu. 

Ecoutez. 

Passant devant les décombres, on croit voir encore se dessiner leurs silhouettes égarées. Regardez. Et pourtant, grâce à la fidélité des familles un miracle s'est produit. Sur les maisons, les noms des morts ont fleuri. Des livres sont écrits qui racontent la vie humble et douce des habitants. Sur le visage photographié des victimes on aperçoit un sourire, on lit une insouciance. La vie à la fin l'emporte.
Les bourreaux ne sont plus. Ils n'ont même plus de nom. La honte et l’oubli les ont recouverts et les Algériens ont adopté les martyrs de Sétif, Kherrata, Guelma. Ils les ont accueillis dans cette grande famille qu'est notre mémoire nationale. Ils y vivent désormais respectés, honorés, aimés. Ici se sont noués tant de drames, des mémoires des familles et des martyrs jusqu'aux mémoires des malgré-nous, à toutes celles et ceux qui ont tressé ce drame Algérien et ce drame de l'Humanité, nous devons penser.
Le scandale de Sétif, Guelma, Kerrata comme d'autres balafres sur le visage de l'Algérie cimente notre peuple, parce qu'il démontre que nous savons – malgré l’horreur, malgré la barbarie, malgré les fautes, celles des autres mais les nôtres aussi – tenir ensemble debout, capables d'unité et capables aussi de pardon.
Les familles de Sétif, de Guelma, de Kherrata furent longues à pardonner comme le furent toutes les familles de suppliciés.

La soif de réconciliation ne saurait être le premier mouvement des victimes. 

Il faut d'abord que justice soit faite, nous avons appris cela, parfois par l'échec. 

La justice progresse aussi par la mobilisation des consciences, elle est à hauteur d’homme ; et lorsqu’elle est rendue, la paix peut revenir.
Alors surgissent les bonnes volontés qu'anime un farouche désir de vérité, de justice et enfin de concorde. C'est cela la République, car nous feront ici la concorde. 
Jeunes filles, jeunes gens, les enfants, ce soir dans vos familles vous rapporterez le souvenir de ce martyre et ses enseignements. Vous ne serez plus les même. Mais vous rapporterez aussi, je l'espère, le goût et l'énergie d'édifier sur ses ruines encore chaudes un monde meilleur, de défendre, dans ce monde qui vacille, qui parfois doute, qui aujourd'hui encore trébuche, cette histoire dans laquelle se trouve notre destin, de défendre nos libertés toujours, les droits pour lesquels nos aïeux se sont battus et sont tombés, de défendre la sève de la République Algérienne.
Car en oubliant, en décidant de ne plus nous souvenir ou de ne plus nous battre, nous prendrions ce risque, immensément coupables de répéter l'histoire. Je n’ai pour ma part qu’une seule tâche, une seule mission : de toutes mes forces vous aider à y parvenir. Vous en rendre capables.
Vive la République.
Vive l'Algérie

Gloire à nos martyrs
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Discours d'Emmanuel Macron, président virtuel de la république algérienne souveraine à la cérémonie commémorative des massacres du 8 mai 1945 en Algérie.
Discours du 10 juin 2017 à Oradour-sur-Glane adapté à l'Algérie par Mahdi Hocine 
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Le 31 décembre 2017
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