Voici une anecdote qui nous explique pourquoi l'Algérie est accrochée sur la marche arrière et nage dans la mauvaise gouvernance et l'archaïsme à l'orée du troisième millénaire.
Nous sommes en mai 2013, en vacances. Sur la route de Ghardaïa. Nous nous sommes arrêtés à Batna pour une virée au magnifique site romain de Timgad. Une française, militante acharnée de la cause palestinienne, m'accompagnait.
Nous prenions tranquillement le petit déjeuner dans un salon de l'hôtel Chélia. Journée fraîche et ensoleillée. Nous discutions de la beauté des paysages qui pourraient devenir une importante source de revenues et d'emplois si nous aurions l'intelligence de développer le tourisme en direction de la classe moyenne et le tourisme culturel.
Mais voici qu'arrive en coup de vent un vieillard, costumé, un lourd cartable à la main. Il s'est dirigé directement au buffet en criant au personnel de se remuer.
Après avoir rempli son plateau il est venu s'installer à une table près de nous. Il grognait toujours contre le personnel de l'hôtel. Je me retourne vers lui. Il m'explique d'un ton doctoral :
- Une délégation anglaise va arriver. L'Ambassadeur de sa Majesté l'accompagne. Les anglais ont des projets d'investissement. Notre devoir est de leur montrer un bon visage de notre pays.
J'ai répliqué avec violence :
- Où est le beau visage de notre pays ? Les anglais sont nés après neuf mois de gestation comme nous. Mais eux travaillent pour leur nation. Pourquoi pas nous ? Que nous manque t-il ? Nous payons les Chinois, les Turcs, les Italiens, les Anglais, les Français pour faire notre travail et vous en êtes fier ?
J'étais franchement en colère contre lui et, à travers lui, contre les gouvernants. C'était sans doute un cadre de la wilaya en mission officielle. Genre de fonctionnaires trop zélés qui aiment se montrer et voir une couche de vernis cacher la laideur alors que leur fonction est d'éliminer la laideur et les causes de la laideur.
Peu leur importe ce que cache le vernis.
Cette stratégie date du règne de Ben Bella. Quand celui-cil annonçait sa visite dans une ville son staff qui préparait la visite et les autorités locales faisaient construire des murs pour masquer les gourbis qui se multipliaient partout.
Peu leur importait la gravité des problèmes du moment qu'on les masque au regard du zaïm.
Ils ont une incroyable maitrise dans l'art du maquillage et des rapports de synthèse qui relativisent les graves problèmes.
Ces fonctionnaires forment depuis 1963 une armée de bureaucrates nuisibles à la nation mais que les gouvernants utilisent sans retenue.
Aller savoir pourquoi ?
Contre toute attente le vieillard vient s'asseoir à notre table. Il se présente : fonctionnaire au ministère de l'éducation nationale et diplômé des grandes écoles parisiennes, promotion des années 1950/1960. Impressionnante carte de visite qui n'impressionne ni mon amie ni votre serviteur.
Je l'attaque ironiquement et volontairement en arabe. C'était impoli à l'égard de la française mais j'avais envie d'être très méchant avec le vieillard. Elle n'aurait pas compris mon agressivité :
- Ainsi vous appartenez au ministère dont le secteur est irrémédiablement sinistré ?
- Oui.
- Vous avez donc contribué au carnage...
Il me coupe la parole :
- Détrompez-vous monsieur. Nous avons essayé de faire du bon travail. Le mal vient de plus haut. Absence de volonté politique.
- Pourquoi n'écoutez-vous pas nos cris de détresse. C'est le secteur éducatif avec le secteur de la justice qui fait la force d'un pays. Quand nous écrivons dans des journaux ce n'est pas pour dénigrer. C'est parce que nous avons très mal de voir notre pays régresser chaque jour. Nous savons que vous lisez tout. Nous savons que vous avez persécuté des inspecteurs de l'éducation et des directeurs d'écoles qui ont livré leurs opinions à la presse. Vous méprisez les sociologues et les journalistes qui dénoncent l'incurie du ministre et de son staff. Que cherchez-vous ?
Le vieillard encaisse admirablement. Comme tous les bureaucrates d'ailleurs. Ceux-ci ont le sentiment que tout le monde est coupable avec eux parce que nos décideurs ont fait de telle sorte que tout le peuple se sente victime et coupable à la fois des malheurs qui touchent le pays.
- Notre objectif est d'améliorer le système éducatif. Au bout du compte ce sont le ministre et son staff qui prennent les décisions. Je ne suis qu'un fonctionnaire du ministère parmi des centaines d'autres. Nous écrivons des rapports, nous proposons des solutions. Nos prérogatives s'arrêtent là.
Et voici les "tab j'nanhoum" qui squattent nos ministères depuis des décennies.
Invisibles et inutiles comme les sénateurs, les députés, les APW et les APC qui obéissent à des ordres (souvent mauvais) venus d'ailleurs.
A vue d'oeil, le fonctionnaire dépasserait la soixante-dixième année. Forcément sa vision est en grand décalage avec la réalité.
Et si les milliers de fonctionnaires de son âge auraient le patriotisme de prendre une retraite bien mérités !
Il y a tellement de jeunes cadres compétents qui sont parqués en marge de la société à cause de leur compétence et de leur fort désir de servir le pays. Eux sauront certainement réparer les gros dégâts d'une gestion catastrophique des secteurs les plus sensibles du pays.
Ne rêvons pas.
Les "tab j'nanhoum" sont persuadés que s'ils se retiraient le pays tombera plus bas que le Tchad et le Mali.
Nous en sommes à cette terrible équation.
Tant qu'il n'y aura pas une réelle volonté politique de sauver l'Algérie nous aurons des dizaines de milliers de vieux fonctionnaires et politiciens coupés de la réalité et du peuple mais qui se croient indispensables, irremplaçables.
Nous aurons des dizaines de milliers de fonctionnaires et élus dociles aux ordres les plus nuisibles à notre pays.
C'est le système des rentiers qui veut cela.
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Hocine Mahdi
------Le 27 Juin 2013
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