Quand la mafia dicte sa loi
Que cachait le mur de la honte ?
Le mur de la honte et des lamentations, comme l’ont qualifié des journalistes locaux, a été construit à la hâte pour épargner aux passants des accidents.Mahdi H.Depuis son inauguration en grandes pompes voici quatre ans, la fresque hideuse du Coudiat n’a cessé de mobiliser journalistes et associations culturelles qui réclament son démantèlement tandis que les «élus» gardent le silence et font le dos rond malgré la virulence des critiques.La fresque, en noir et blanc, a été annoncée par ses promoteurs comme un vibrant hommage de la ville et de ses habitants aux grands maîtres de la musique, dite constantinoise. La matière est noble (carrés de marbre), mais la main maladroite du tâcheron en a fait une horreur qui insulte la sensibilité et l’intelligence, et qui nous montre le souci de nos «élus» de ne pas dilapider les (deniers publics).A peine deux années après sa conception, la fresque commence à perdre un à un ses carrés de marbre à la manière d’un corps mangé par la lèpre. Pire, le mur qui la supporte se gondole dangereusement. Ce qui nous dit clairement avec quel «soin» le maître d’ouvrage et l’entrepreneur ont accompli leur travail. Certainement, ceux qui distribuent les marchés, en garantissant aux titulaires la réception sans contrôle de la qualité des travaux effectués, (voir les immeubles de Boumerdès et des cités dortoirs, dites nouvelles villes), n’ont pas raté ce petit chantier à gros budget.Finalement, les magistrats viennent de trancher. Le mur des lamentations sera démoli. Et surprise, les attendus du verdict nous dévoilent le drame d’un citoyen spolié dans ses droits. Un drame insoupçonnable. En effet, le mur de la honte cachait bien le secret : un terrible combat d’une famille dépossédée illégalement de sa propriété. Par qui ? Par un baron sans visage et sans nom, au service de qui travailleraient des «élus» et des fonctionnaires ,qu’une enquête sérieuse débusquera facilement. Le mur de la honte et des lamentations, comme l’ont qualifié des journalistes locaux, a été construit à la hâte pour épargner aux passants des accidents. Officiellement. En vérité, il protège une miniscule parcelle de terrain qui vaut son pesant d’or, selon les affairistes, car situé dans l’emplacement le plus convoité du centre-ville. La conception de la fresque sur ce mur masque astucieusement un projet de spoliation d’une propriété privée, comme à l’âge d’or du règne d’un certain «dey»… Un acte mafieux, pénalement condamnable, mais que des «élus» et des fonctionnaires ont sournoisement accompli avec les moyens de l’Etat, parce que se sentant au-dessus des lois.Désirez-vous des preuves qu’aucun esprit honnête n’osera imaginer ?En voici : quand le propriétaire du terrain, M. Khelassi Abdelouahab, dépose auprès de l’APC un dossier pour l’obtention d’un permis d’extension de son atelier de confection, il se heurte à tous les genres de tracasseries bureaucratiques. En plein chantier, il sera assigné à résidence pour avoir protesté contre la violation de sa propriété par les services de l’APC. Un «élu» aura l’incroyable audace de lui adresser une correspondance qui lui apprend que sa parcelle de terrain appartient au musée de Cirta. De son côté, le directeur (1) en personne, dont les prérogatives sont d’ordre purement technique, rejette le plan d’extension sous un prétexte sans fondement : le terrain serait une dépendance à l’usage des co-locataires de l’immeuble. Or, sur le registre de l’administration des domaines, l’identité du propriétaire est clairement mentionnée. Le musée Cirta ne possède aucun document concernant le terrain. Il faut être malhonnête et de mauvaise foi pour prétendre le contraire. Qu’est-ce qui incite des «élus» et des fonctionnaires d’inventer des propriétaires fictifs ?Muni d’un lourd cartable rempli de documents officiels qui attestent sa qualité de propriétaire, dont l’acte de propriété et des lettres signées par le wali et le directeur des domaines, Khelassi Abdelouhab passera seize longues années à courir les tribunaux, les administrations, les ministères, la Présidence. Il écrira à tous les présidents de la République, à tous les ministres de la Justice et de l’Intérieur, à tous les médiateurs et les procureurs qui se sont succédé à partir de 1990. Il contactera tous les journaux privés et publics. Mais il se heurtera à l’indifférence et à l’incompréhension. Habilement, les chantres de la bureaucratie feront traîner l’application de décision de justice.Du directeur de l’Urbanisme jusqu’à l’avocat, pourtant bien payé, ce dernier oubliera de conseiller à son client d’accomplir dans les délais requis des procédures indispensables… Il a fallu seize ans (1990-2006) pour que le cauchemar prenne fin.La chance de M. Khelassi vient de quelques journalistes qui ont été scandalisés par la laideur de la fresque, et qui ont lancé une dure campagne de presse contre les autorités locales. J’ose affirmer que sans l’action des journaux, le combat solitaire du citoyen contre la coalition mafieuse de fonctionnaires, «d’élus» et de barons, n’aurait peut-être jamais abouti. Ce qui est dramatique, car de nombreux cas semblables attendent depuis plus de trente ans une conclusion. Ceci, en raison de l’esprit routinier qui règne au sein des ministères qui sont inondés de «chicayates»de la part de «mahgourine» écrasés par les bureaucraties locales. Dans le meilleur des cas, les autorités centrales orientent le courrier vers le wali qui s’en décharge sur les services «concernés». Sans suivi. Le parcours du circuit peut durer des années, pour un courrier. Mais en général, les bureaucrates et les «élus» qui s’impliquent ouvertement dans les affaires douteuses bénéficient du laxisme de la hiérarchie ou de la protection d’une «haute autorité». La morale de ce drame, c’est qu’un homme honnête n’a jamais cessé de croire que viendra le jour où des magistrats sauront lire un acte de propriété et lui rendront justice. M. Khelassi s’est imposé une règle de ne pas violer la loi, et ne jamais se taire sur ses droits, le temps se chargera de faire éclater la vérité. Il a eu raison.En conclusion, reprenons une déclaration de M. Khelassi :- Il y a seize ans, mon projet était estimé à trois millions de dinars environ. Aujourd’hui, selon des experts, il reviendrait à quinze ou vingt fois plus. Mais au-delà de l’argent, j’ai perdu la santé, j’ai vieilli deux fois plus vite. L’avenir de mes enfants a été irrémédiablement gâché. Tout l’or du monde ne nous guérira pas des souffrances indescriptibles que mon épouse, mes enfants et moi-même avons endurées pendant seize ans. Pour l’instant, je savoure le triomphe de la justice sur l’abus de pouvoir et sur la mafia. Ils sont nombreux, les citoyens victimes d’abus. Je souhaite qu’ils ne baisseront pas les bras. Les élus et les juges passent mais la justice reste. Un jour, il y aura un magistrat de bonne famille et honnête qui fera triompher la vérité. L’important est de lutter, de ne pas se taire, de ne pas essayer de contourner la loi comme les mafieux, pour ne pas donner prise à des pressions et à des marchandages malsains.
MAHDI. HOCINE.
----------------(1) Le directeur de l’urbanisme
17/07/06